Dansez !

Claude Lévêque parle, avec tendresse et lucidité, de nos mythologies contemporaines. À travers ses installations, l’artiste se fait le témoin d’un monde dur et violent dont chacun pourtant a su s’accommoder. Longtemps proche des mouvements punk, il met à jour les mécanismes du pouvoir, des normes, et place le visiteur, complice, devant ses propres contradictions afin de lui restituer autonomie et vigilance.

Plus proche de l’injonction que de l’invitation, « Dansez ! » porte le sceau d’une humanité à bout de souffle. L’écriture est hésitante. On discerne distinctement les soubresauts typographiques de l’écriture à main levée. Alors que de nombreuses polices d’écriture tentent d’imiter l’écriture manuscrite, celle-ci s’efforce de dessiner les contours de caractères majuscules standardisés. Cette présence du geste humain, non mécanique, contraste avec la facture industrielle et froide du néon.

Devant les hésitations du tracé, l’entreprise de normalisation échoue. « L’écriture tremblée de ma mère que je retranscris et reproduis en néon oppose explicitement la norme à la déviance de l’expression individuelle », dit Claude Lévêque. Elle affecte clairement la signification du message et déporte le sens de l’énoncé, jouant de la classique opposition signifiant/ signifié. Si l’artiste nous invite à entrer dans sa sphère privée, sur le territoire d’une intimité partagée (celle qu’il instaure avec « sa première collaboratrice » : sa mère), il s’agit surtout de s’opposer au « prêt-à-penser » asséné par les sociétés contemporaines.

Qu’il s’agisse de danser, rire ou jouer, ces injonctions en néons multicolores ne manquent pas de nous interpeller par leur ambivalence. Empreintes du radicalisme nihiliste des mouvements punk, elles « représentent l’autocensure et la morale que l’on s’inflige. Nous essayons toujours vainement de critiquer l’ordre moral tout en étant acteurs. Nous décidons de nos contraintes », et c’est ainsi que Claude Lévêque, fataliste, dresse le portrait de notre monde, « une situation sans retour qui marque la fin d’une civilisation ».

R.R.T.

Claude Lévêque

1995

Néons multicolores, écriture Gilberte Lévêque, 150 x 15 cm. Collection particulière. Vue de l’installation à la Galerie du jour agnès b, Paris.
© Adagp, Paris 2010. Courtesy galerie Kamel Mennour, Paris. Photo © Marc Domage.