À l’occasion du vingtième anniversaire de l’ouverture aux publics du MAC VAL, l’exposition « Forever Young » se tourne vers le futur : elle réunit 20 jeunes artistes pour qui la rencontre avec le MAC VAL a constitué un moment pivot, un tournant dans leurs parcours artistiques. Fréquentations et compagnonnages sont peut-être les maîtres mots de ce projet. En effet, elles et ils ont grandi près et avec le MAC VAL. Elles et Ils en ont fréquenté les salles et le jardin dès l’enfance. Voisins-voisines. Y ont joué, appris, découvert l’art, eu envie de devenir artistes, regardé et rêvé. Elles et ils ont visité les expositions en famille, en solo ou bien dans le cadre de leurs scolarités (de la maternelle à l’école d’art). Elles et ils ont participé à des ateliers de pratiques artistiques, parfois en ont animé. Elles et ils ont visité les expositions, parfois même les ont accrochées. Pour préparer cette exposition commémorative et prospective, j’ai donc enquêté auprès de collègues, de partenaires divers, d’artistes enseignant en écoles d’art … Au terme de ces entretiens informels, j’ai retenu 20 artistes ayant vu le jour entre 1973 et 1997.
Cette exposition ne prétend en rien à l’exhaustivité, ni à la neutralité. Elle n’essaie en aucun cas de brosser un portrait générationnel. Cette exposition témoigne de la diversité des parcours et des attitudes, de la richesse de la scène que l’on dit émergente, dans un musée qui a 20 ans.
Si le lien tissé avec le MAC VAL constitue le plus petit dénominateur commun entre ces artistes, leurs pratiques et œuvres s’ancrent toutes, de manières singulières et situées, dans une réflexion du et sur le réel, répercutant les échos du monde.
Le parcours de l’exposition se construit par associations d’idées, par rebonds et balises.
Il y a du rose, beaucoup de rose. Il y a des fantômes, beaucoup de fantômes. Des bâtons de couleurs à lèvres, des évènements lumineux, des trottinettes encapsulées et du dentifrice, des autoportraits empuissancés, des images et encore des images, des machines de toutes sortes (à photographier, à voyager dans le temps et l’espace, à rêver, à disparaître), de la narration spéculative, de la science-fiction, des façades vitriotes, des évocations, un vaisseau générationnel, des énergies canalisées ou pas, un château au bord de l’effondrement et un parfum d’apocalypse, des cocons et une langue quasi oubliée, des corps peints, des slogans et sentences, un espace en attente, des tissus pliés et de la couleur, du béton et des standards questionnés, des pierres et une histoire d’amour, un amant qui dort et des oracles, des paysages traversés, des lieux emplis de souvenirs, de mémoires.
Vingt univers singuliers comme autant de propositions alternatives d’habitation du monde.
Coco de RineZ, goguenarde, nous accueille, grimée en Marilyn Monroe version Warhol. Cette image appartient à une série d’autoportraits empuissancés et joyeux dans lesquels l’artiste incarne, avec malice, des personnalités diverses, des figures iconiques. Tour à tour, Angela Davis ou Michel Polnareff, Blanche Neige ou Bob Marley, Coco de RineZ se livre, avec jubilation, à une entreprise de (dé)construction de soi par une stratégie d’infiltration des représentations.
Plus loin, Aïda Bruyère poursuit l’analyse des esthétiques mainstream. Avec Red Lipstick Monsterz, elle développe l’artillerie d’un féminisme de masse sans compromis. Talons aiguilles, ongles acérés, maquillages, paillettes, night clubs et femmes fatales… En véritable guerrière contre les violences genrées, elle s’empare et retourne les armes de la soi-disant séduction féminine.
De sa double culture, Chadine Amghar garde le goût du composite. Elle assemble des éléments fortement connotés, empruntés aux paysages urbain et suburbain (trottinettes, parpaings, dispositifs anti pigeon) dans des agencements sculpturaux modulaires. Qu’elle s’empare d’un objet quotidien sexiste retourné en hommage aux agitatrices du monde entier, qu’elle vernisse des baguettes de pain, ensache des parpaings dans des sacs TATI ou convoque la figure du pigeon ou le motif de la pastèque, tout chez elle fait signe, sens, dans un grand feuilletage de métaphores où se brassent réflexions autour des identités culturelles, de la mondialisation ou encore de la circulation des marchandises et des corps.
Exubérant et luxurieux, flamboyant et en colère, tel est l’univers de Jordan Roger . En rupture avec le conservatisme religieux de sa famille biologique, celui-ci creuse et développe sa famille choisie. Un panthéon eschatologique dans lequel se côtoient fées, aliens, sirènes et autres créatures drag. Travaillant à l’effondrement des puissances rétrogrades, ses œuvres aux tonalités acides et glossy, explicitement faites à la main, aspirent à danser sur les ruines d’un monde oppressif et proposent une tout autre vision de l’apocalypse.
Rebecca Topakian entreprend, depuis quelques années, la (re)conquête de son histoire familiale. Issue de la diaspora arménienne, elle part avec son appareil photo, à la rencontre du pays et de la culture de ses ancêtres. Partant de l’histoire d’amour romanesque de ses grands-parents, elle brosse en photographies un portait-paysage, au-delà des histoires, projections et fantasmes d’un territoire géographique et culturel, à la recherche de sa propre identité.
Home Away From Home (La Maison loin de chez soi) est le nom générique de la recherche que mène Mario D’Souza depuis quelques années. Ses environnements évoquent avec fragilité et impermanence la question même du « chez soi ». Ornemental, décoratif, baroque et conceptuel, il arrange des espaces enveloppants et accueillants. Des tissus pliés, d’autres étendus, des couleurs peintes, des dessins posés évoquent la fluidité des identités. L’entre deux. Articulant un dialogue intra culturel, entre France et Inde, il est chez lui partout et nulle part, nulle part et partout.
Apparition et présence sont les mots clefs pour entrer dans le travail de Camille Brée. Elle pratique un art vaporeux qui nous maintient dans un état d’alerte et de vigilance. Quelque chose advient. Ou va advenir. Ou est déjà advenu. Lumières, fumées, interstices, inframince… interrogent les conditions du visible et déplacent les regards et attentions. Ici, une boite à disparition, accessoire essentiel de toute prestidigitation, est exposée ouverte, offerte. Tout est à vue, mais le mystère demeure intact.
Goudron, téléphones prépayés, assises bricolées, ciment, Caprisun, maillots de foot et Nike Air Max TN, films plastiques et dentelles synthétiques ; bricolages, déplacements, transparences, superpositions et horizontalité… Les installations de Maïlys Lamotte-Paulet proposent, avec nonchalance, des espaces en attente. Des lieux de l’entre-deux. Des temps suspendus. Des seuils. Des espaces de projection. Quelque chose est imminent. On est au bord. Ça nous guette.
Les gestes et opérations plastiques de Raphaël Maman usent de matériaux de construction et donnent proprement corps à la norme, rendent visibles les standards, en dévoilent les logiques, les apprivoisent pour mieux les contredire. Et proposent des scénarii alternatifs d’occupation du monde. Ici, une installation matérialisant littéralement l’articulation entre normes de construction et poids des corps. Ailleurs, des meubles pris dans une plaque de béton armé qui offrent ainsi une table à investir pour des agapes d’un nouveau genre.
Surcharge décorative, hypertrophie des corps, saturation des couleurs... tout chez Richard Otparlic déploie une esthétique queer et camp où s’articulent des éléments issus des cultures populaires autant que des cultures savantes, d’Instagram au Musée du Louvre, de la famille Kardashian a Léonard de Vinci. La pratique de Richard Otparlic jouant des contrastes (joliesse des couleurs vs hypersexualisation des figures…) développe un univers tendre, onirique et acidulé, saturé, empli d’icônes et de figures mythologiques, entre naïveté assumée, posture critique et joie ludique où s’ébattent des masculinités non hégémoniques.
Dans les environnements de Yann Estève, souvenirs, instants fugaces, sensations, réminiscences sont organisés dans des agencements qui se jouent et rejouent sans fin en dialogue avec les lieux qui les accueillent. Ready-mades, objets de récupération, ou bien faits et refaits, photographies et dessins se combinent en une évocation certaine des feuilletages instables des théâtres de la mémoire.
Le Théâtre des Machines d’Emma Cossé-Cruz réfléchit à la fabrique des images, à leur matière et leur poids, au geste même de faire image. Des photographies de machines à imagerie médicale (ces machines liées aux industries de l’armement et de la santé participent des techniques de contrôles et de normalisation des corps) sont transférées sur des plaques standardisées de placoplâtre en un geste qui rappelle l’art velouté de la fresque. Réparties dans l’espace en une sorte de danse macabre, un face à face (un corps à corps ?) s’engage alors avec les personnes en visite.
Le langage et ses structures, la communication verbale et non verbale entre les êtres, la vérité et la fiction, le documentaire et la métaphore, les codes, les individus, l’histoire et son écriture, la trace, le reste… autant de zones de questionnements au travail dans les œuvres de Garush Melkonyan. Qu’est-ce qu’une image ? Comment ça se fabrique ? Qu’est-ce que ça contient ?
Des sculptures aux formes oblongues, quasi organiques, aux allures de cocons et autres enveloppes, qui semblent tout droit sorties de films de science-fiction tendance Alien ou Matrix. À moins que ce ne soient des châsses encapsulant des reliques précieuses. Ou tout simplement des lampes. Ou bien peut-être tout cela à la fois. Et/et : c’est dans ce mouvement que Kim Farkas interroge sa généalogie aux croisées de plusieurs diasporas. À la matérialité spéculative de ces sculptures répond l’évanescence fantomatique d’une vidéo spectrale immortalisant la tradition quasi perdue de la poésie chantée improvisée en langue peranakan.
Ça ressemble à une fusée, une navette, un insecte géant, une sorte de générateur, un sound system nouvelle génération… Cette sculpture aux accents cronenberguien nous entraîne dans une dystopie spéculative. Hugo Vessiler-Fonfreide y poursuit son exploration des questions énergétiques : l’énergie, sa production, sa circulation, ses mythologies, ses promesses et ses impasses. Dans ce vaisseau générationnel, se mêlent organes et machineries. Cette construction pseudo cyborg sera activée plusieurs fois pendant l’exposition par l’artiste et ses acolytes pour des prestations musicales électrifiées et électrifiantes.
Dans ces installations immersives, Sarah-Anaïs Desbenoit nous invite à la contemplation et au ralentissement. Le réel y est reconstruit en un conte architectural, en boucle et sans corps, qui emprunte à l’univers du modélisme, du diorama, de la fête foraine. Fortement mélancoliques et cinématographiques, ses traversées immobiles des paysages urbains donnent à voir les structures et mécanismes invisibles qui rythment nos quotidiens, les comportements et affects que génèrent nos manières d’habiter.
Les paysages vitriots (de la dalle Robespierre au bus 183) constituent la matrice de l’œuvre des adelphes Commaret. Grichka peint et Tohé filme et photographie. Les tableaux du premier, de petites dimensions, peints à l’aérographe, ou les images fixes ou en mouvement de la seconde, évoquent des souvenirs intimes, proposent des visions d’une ville reconstruite par le souvenir et l’affection que l’on porte aux lieux dans lesquels on a grandi. Et aux personnes qui y vivent.
Lassana Sarre peint. Il investit l’héritage de la peinture à la française avec son corps et sa subjectivité de personne noire. Il s’empare d’une histoire officielle et la retourne, y injectant une bonne dose d’autobiographie. Vitry-sur-Seine est la toile de fond de ses machines picturales où, en dialogue avec Manet ou Géricault, éclate le non finito et le suspens.
Les situations langagières constituent la matière première des explorations de Loreto Martinez Troncoso. Il s’agit bel de donner ou de prendre la parole, de faire résonner (raisonner ?) le réel à l’épreuve des voix, de nos voix. La voix comme synecdoque du corps, des corps. La parole comme un événement toujours déjà situé. Avec Julie Pellegrin, sa complice et amie de 20 ans, elles clôtureront l’exposition le 4 janvier 2026 avec une conversation qui s’inscrit dans leur pratique d’échange au long cours.
Poursuivant cette ligne de l’amitié et de la proximité, et parce que le présent est empli de nos fantômes, il m’a semblé important de rendre hommage à Merhyl Ferri Levisse. Artiste, compagnon de route du musée, ami, il est décédé en 2023. Depuis notre rencontre en 2015, suite à sa visite de l’exposition « Chercher le garçon », nous avions entamé un dialogue artistique et au fur et à mesure des années, devenu amical, régulier, parfois contradictoire. La conversation continue, autrement.
Frank Lamy