Kimsooja

De l’artiste aux œuvres

Kimsooja
Née en 1957 à Taegu (Corée), vit et travaille à New-York (Etats-Unis)

Une tradition de l’artiste nomade
Comme de nombreux artistes de ces dernières décennies, Kimsooja est une artiste nomade qui fait de l’exil et du voyage le nœud de son travail. La figure de l’artiste nomade et arpenteur provient d’une longue tradition, voyageant vers les villes où l’art lui semblait le plus inspirant ou guidé par les mécènes, là où sa production avait la chance de s’y développer. Aujourd’hui ce déplacement perpétuel, au physique comme au figuré est devenu un lot commun, gagné par la mondialisation et la réduction du temps et de la distance. Il est même un « genre » en soi, comme on parle de film de genre. Beaucoup d’artistes sont des exilés ‘‘volontaires’’ mus par des raisons personnelles ou par la curiosité, plus encore sont les exilés politiques.
Le départ, l’arrivée et la traversée, partir mentalement et physiquement, de possibles lignes de fuites sont produites par nombre d’artistes et l’on pourra y croiser des vespas en marbre de Gabriel Orozco, des bateaux de Claudio Parmiggiani, des cailloux disséminés de Richard Long, des cartes de Mona Hatoum ou les marches de Francis Alÿs.
Le travail de Kimsooja s’inscrit donc dans cette vaste famille des artistes géographiques dont le parcours personnel est scandé par les allers-retours. Très tôt, en 1985, dès la fin de ses études de peinture à l’Université Hong-IK (Séoul) et à l’atelier de Lithographie de l’Ecole nationale des Beaux-Arts de Paris, Kimsooja commence à exposer au niveau international. Parmi ses récentes expositions personnelles, on retiendra To Breathe – A mirror woman, au Musée Reina Sofia à Madrid en 2006 et Lotus : Zone of Zero, l’assemblage d’une monumentale rosace de lanterne de lotus avec la diffusion de chants grégoriens, islamiques et tibétains dans la Rotonde de la Galerie Ravenstein, (Bruxelles, 2008).

Être et agir dans l’immobilité : un équilibre
La contemplation et l’immobilité comme corollaires du mouvement sont les temps et postures privilégiés par Kimsooja. Cette attention met d’autant plus en relief les forces d’oppositions, les énergies réciproques de l’arrêt et de la mobilité, le cycle du repos et de l’activité, de la vie et de la mort.
Ainsi la vidéo A homeless woman (2001) où l’artiste est filmée au Caire ou à Dehli, allongée au sol, est chargée d’une forte puissance, face à cette assemblée de passants masculins.
La série de vidéos A Needle Woman (1999-2001 et 2005) est considérée comme une œuvre emblématique, point de repère dans l’ensemble de ses actions-performances. Dans une dizaine de villes à travers le monde (Londres, Shangaï, Lagos, Mexico, Jérusalem…), Kimsooja a adopté une même posture : droite et immobile dans la foule, ses cheveux rassemblés par une longe natte filant sur sa robe noire. Chaque scène est filmée au téléobjectif, en plan fixe et montre le contraste plus ou moins fort, plus ou moins violent, entre la pose de l’artiste, dos à la caméra et cette foule qui l’entoure, la contourne, ces individus qui l’évitent, l’oublient ou l’observent.
A needle woman, « une femme aiguille » en français, néologisme pour un pas de côté vers cette autre activité que Kimsooja met en scène : rassembler des tissus, voyager avec des ballotins, se glisser entre les mailles.

Accueillie en résidence en 2007 au MAC/VAL, elle réalise la performance Bottari Truck-Migrateurs, entre Vitry et Paris. Dans un premier temps, il s’agit pour l’artiste de récolter des draps, des vêtements provenant d’Emmaüs. Leur agencement coloré tisse ainsi un état des lieux de la diversité des communautés présentes sur le territoire. Chargée de ces vêtements rassemblés en balluchons, comme autant d’histoires et de corps en creux, l’artiste les transporte à l’Eglise Saint-Bernard à Paris, lieu aujourd’hui manifeste de la lutte des sans-papiers. De la place de la Bastille à celle de la République, c’est un trajet en pick-up le long des monuments historiques de Paris qui est filmé et qui constitue une trace de cette action.
Voyager sans bouger, se fondre dans la foule, agir par l’immobilité ou le transport de tissus devenus anonymes, ballottée de ci de là, autant d’états contradictoires et quotidiens de la condition humaine et du temps contemporain qui sont figurés inlassablement par Kimsooja, artiste équilibriste.