Pirjetta Brander

De l’artiste à l’œuvre

Pirjetta Brander Née en 1970 à Helsinki (Finlande), vit et travaille à Helsinki

« Le dessin est ma langue maternelle. »
C’est par cette formule imagée que Pirjetta Brander aime à qualifier son travail artistique qu’elle expose largement depuis 1995, dans de nombreux musées et festivals, principalement en Finlande et au Canada. Si elle produit également des installations, de la peinture et des vidéos, pratiques qu’elle a développées à l’école d’art de Stokholm (Suède) et à l’école d’art et médias de Tempere (Finlande), il faut donc avant tout envisager son travail par le dessin, qui à de nombreuses sources (hyperréalisme, dessins d’enfants, graffiti, art brut). Elle revendique ainsi une attention particulière aux contrastes et aux détails dans la figuration et la couleur.

(Auto-)portrait de famille
Sa série de portraits, Me, Mother, Daugther, Granny, dessins qu’elle réalise entre 2002 et 2006 travaille des écarts entre le fond et la figure représentée, le trait et le modelé, suivant la présence de la couleur qui surgit par exemple d’un collier, d’une écharpe ou encore de l’arrière plan du dessin. Ces portraits sans concessions au trait aride, hyper réaliste, exhibent les rides, les plis de la peau et donne à voir la ressemblance, une certaine inquiétude commune aux membres de sa famille.
Toute l’œuvre de Pirjetta Brander traite ainsi de la structure familiale, des émotions ambivalentes et complémentaires qu’elle produit. L’amour et la tendresse mais aussi la mise à nu des névroses au quotidien, des tensions en sourdine, il en est ainsi déjà question dans sa vidéo Angst Essen Seele Auf – Portrait of My Family (1999), où elle filme sa propre famille.

Arbre, pyramide, maison… liens et hiérarchies
Pirjetta Brander explore également la structure familiale en l’ouvrant plus largement aux relations humaines. Considérant la famille comme une partie de la société, elle utilise des symboles qui montrent la hiérarchie, les relations de pouvoir, suivant différents degrés et échelles : de la cellule familiale à la multitude d’individus et d’anonymes de la société.
Dans l’installation Tower of Glasses (2010), l’équilibre d’une pyramide de verres à vins - symbole de célébrations et de cérémonies, familiales ou institutionnelles -, éclate dans une large tache rouge à même le sol, sous le guéridon. Et c’est aussi l’arbre, symbole par excellence de la généalogie et de la hiérarchie, suivant la base, le tronc et ses différentes ramifications, que Prijetta Brander décline dans sa série de sérigraphies Bad Love (2000-2001) ou dans l’aquarelle Garden (2008).
Autre symbole fort, autre figure que Pirjetta Brander multiplie : la maison, dans sa forme la plus minimale et inquiétante, pourvue d’un toit et parfois d’une cheminée ainsi que d’une porte, unique ouverture qui prend souvent la forme d’un trou de serrure. Dans l’aquarelle Field Trip (2007) ce motif récurrent de la maison est par exemple enchaîné à un arc-en-ciel, auquel s’accroche une ribambelle d’individus uniformes, telle une guirlande en papier d’enfants.

Le réseau du village : prison ou protection
L’installation Village produite en 2008 pour sa résidence au MAC/VAL et dans le cadre de la saison Finlandaise, matérialise toutes ces recherches. Une maison principale reliée à six autres plus petites est surmontée d’une antenne parabolique, autant symbole du monde extérieur et des images venant du monde entier, que symbole du contrôle, du pouvoir des médias producteurs de stéréotypes et d’uniformisation, une dimension que l’artiste explore dans toute son oeuvre.
On ne s’étonnera donc pas que le roman L’adversaire (2000) de Emmanuel Carrère, inspiré d’un fait divers, l’affaire Romand, ait pu fasciner Pirjetta Brander. Ce livre, qui a aussi été adapté au cinéma, retrace le parcours de Jean-Claude Romand, un homme qui a abattu sa famille en 1993, de peur que le mensonge sur lequel il avait bâti sa vie ne soit découvert. Pendant de nombreuses années, il s’est fait passé pour un médecin de l’Organisation mondiale de la santé travaillant à Genève. Empruntant de l’argent à ses proches en leur laissant croire à de fabuleux placements financiers, c’est sur des aires d’autoroutes qu’il passe ses journées et qu’il organise cette usurpation, jusqu’à la tragédie. Un climat de forte tension est ainsi diffus dans l’installation Village et l’artiste parle même de « sauna visuel » pour caractériser cette expérience perturbante. La « maison mère », poumon de ce village, est reliée aux six autres maisons plus petites par des chemins, de larges aplats rouges en vinyl tels des vaisseaux sanguins que le visiteur arpente. Une forte lumière émane des sept maisons, figurant ainsi l’idée du foyer. Ce réseau évoque aussi les contes comme Hansel et Gretel, Le Petit Chaperon rouge. Il peut ainsi rappeler la vidéo Marsu (2003) où l’artiste a filmé sa propre fille déguisée en princesse. Par ses mimiques et les paroles d’une chanson qu’elle reprend en play-back, la petite fille de six ans exprime des émotions comme la colère, la rancœur.
Chaque maison de Village est peinte en noir à l’extérieur et en rouge à l’intérieur, un fond d’où se détachent des fresques aux motifs verts, des arabesques et une foule de personnages manchots, unijambistes, hors normes. Le long des parois chacun tente de s’échapper de cette fourmilière écrasante pour atteindre les nuages couvrant le plafond de la maison. Un ciel libérateur ou menaçant, tel dans la sérigraphie Le Nuage noir, réalisée pour la Journée internationale des femmes, en 2009. Les membres d’une femme sont écartelés dans une maison d’où sort un fil de prise électrique, rendu d’autant plus inquiétant par ce nuage noir et pluvieux.
Cette œuvre montre aussi la préoccupation de l’artiste pour cette autre asymétrie et hiérarchie que composent les relations entre hommes et femmes, notamment dans le monde de l’art où les artistes femmes restent largement sous-représentées, même en Finlande. « Mon travail se lit comme une carte », le visiteur peut ainsi prendre à la lettre cette autre formulation de l’artiste.