De l’artiste aux œuvres
Adel Abidin
Né en 1973 à Bagdad (Irak), vit et travaille à Helsinki (Finlande)
Ironie et gravité
« L’humour et l’ironie sont au centre de mon langage » pour montrer les rouages de l’aliénation et de la marginalisation, résume Adel Abidin. Et l’on pourrait ajouter la satire, la parodie pour qualifier un travail qui refuse toute position rassurante au spectateur. « Abidintravels.com » n’est pas le site internet de l’artiste mais celui de son agence de voyage spécialisée dans le tourisme de guerre et ouverte six mois dans le pavillon scandinave de la Biennale de Venise en 2007. Le ‘‘touriste’’ préposé à un séjour à Bagdad y découvrait indistinctement l’horreur de la guerre associée à des images de soldats profitant paisiblement des joies d’un palace. Lui étaient aussi expliqués les différents dangers qu’il allait rencontrer pendant son séjour, à la manière d’un jeu vidéo ou d’un safari.
« Abidin Travels – Welcome to Baghdad » est une installation féroce et décisive dans le parcours de cet artiste. Adel Abidin a suivi des études de management et d’art à Bagdad (entre 1990 et 2000) complétées par un diplôme à l’école d’art de Helsinki en 2005. Depuis 2000, date à laquelle il s’installe en Finlande, il expose ses installations et ses vidéos à travers le monde (MOCA à Taipei, The Renaissance Society à Chicago, Rencontres internationales Paris-Berlin) en travaillant la notion de distance. Une distance qu’il éprouve au quotidien en tant qu’exilé face à de nouveaux codes culturels (vidéo Crazy Days, 2005), et où la gravité rivalise avec l’ironie.
Face à face et immersion
C’est bien d’une gravité mêlée d’empathie dont il s’agit dans les œuvres exposées au MAC/VAL en 2008, Alyaa, Vacuum et Plan B. Ces trois installations avec vidéos proposent au spectateur une véritable expérience physique. Voire claustrophobique. Ainsi, l’hommage de l’artiste à Alyaa, jeune femme qu’il a connue à l’université de Bagdad avant qu’elle ne soit contrainte à la réclusion par sa famille est loin d’être une simple évocation de l’enfermement. C’est dans un espace confiné, une boîte clôturée par 10 portes identiques que le spectateur découvre cette jeune femme qui gratte une vitre, une glace sans tain. Un face à face construit sur l’illusion de la présence réelle de Alyaa, une image vidéo projetée. Ce tête-à-tête se transforme en mise en abyme lorsque le spectateur découvre, en regardant à travers un oeilleton, une autre vidéo, celle d’une femme, nue, qui tente de sortir d’un espace clos.
Le spectateur est aussi mis à contribution d’une expérience spatiale et temporelle dans l’installation Vacuum. Il marche sur une surface fragile, tel un voile de glace qui se craquelle, pour se trouver face à une vidéo. Le geste vain, absurde et grandiloquent de l’artiste qui aspire progressivement la neige d’une étendue désertique symbolise la lutte contre ce climat finlandais auquel il tente de s’adapter. Un aspirateur : voici la réponse pratique, patiente et joliment inefficace de Adel Abidin à sa nouvelle vie et ses nouvelles conditions de travail.
Autre solution, autre Plan B, pour dompter l’étrangeté et les obstacles du quotidien dans une troisième installation qui propose également l’intrusion du domestique dans un espace autre. Le sol du Musée est recouvert de matelas, et ce sont ces mêmes objets intimes et familiers, ces rebus urbains aussi, qui sont étalés et découpés dans une scierie, opération filmée en plan fixe et projetée sur un large écran (17x6m). Adel Abidin construit une discordance entre la dureté, le mécanisme de cette découpe, les obstacles que constituent les matelas dans la salle d’exposition, comme autant de débris, et l’imaginaire qui s’y rattache. Un chez soi hors de chez soi, un déplacement inconfortable que, une nouvelle fois, l’artiste propose d’expérimenter.