Ange Leccia

Vidéo

Notice

Depuis les années 1980, Ange Leccia mène simultanément une réflexion sur l’objet et un travail sur l’image en mouvement, qui renvoient « à un état non définitif des choses, à une pratique de réemploi de matériels préexistants destinés à endosser d’autres sens » (Giorgio Verzotti). Il attire ainsi notre attention sur la violence et la puissance de certains objets contemporains issus de l’industrie technologique en confrontant des voitures ou des motos, des téléviseurs ou des projecteurs… La disposition en face à face d’objets identiques, souvent reliés par la lumière, efface leur fonctionnalité au profit d’une réflexion sur leur signification et la manière dont ils reflètent la société qui les utilise. Parallèlement, Ange Leccia se sert de la vidéo, non dans un contexte narratif comme dans un film cinématographique, mais plutôt par la répétition d’images en boucle, permettant au spectateur de saisir l’œuvre dans l’instant ou de l’appréhender dans le temps sur un mode contemplatif. Mais ici, il s’agit de la contemplation d’une image-mouvement. Le cinéma, qui reste par ailleurs une source d’inspiration, est le matériau même d’une partie de ses œuvres, dans lesquelles il isole et repasse de manière ininterrompue une séquence remarquable de l’histoire du cinéma, comme une explosion extraite de Pierrot le fou de Jean-Luc Godard en 1986. Que ce soit par la sérénité ou la violence des images, Ange Leccia interroge le spectateur sur leur sens.

À travers une partie de son travail vidéo, Ange Leccia explore les éléments. Dans les années 1990, il réalise des œuvres basées sur la répétition de phénomènes naturels : avec La Mer (1991), il filme le flux et le reflux des vagues sur le rivage corse. Au cours d’un séjour à La Réunion, il s’intéresse aux Fumées (1995) qui s’échappent de la cheminée d’une usine de sucre. Le ressac de la mer comme le mouvement des fumées créent un effet très pictural que l’on retrouve dans l’Orage. La lumière des éclairs sur fond sombre s’inscrit dans la continuité de la peinture de paysage. L’étude de la luminosité et l’effet produit par les contrastes rappellent les œuvres du Lorrain ou de Joseph Vernet. Mais cette œuvre est également en mouvement et sonore : le spectateur se trouve dans un espace à l’intérieur duquel il perçoit l’orage dans ses manifestations visuelles et auditives. Les différentes parties de l’écran s’éclairent tour à tour en fonction du jeu des éléments climatiques. Le clignotement lumineux des éclairs qui zèbrent le ciel et illuminent les nuages noirs, les grondements sourds du tonnerre et le crépitement de la pluie évoquent un véritable déluge, le paysage n’est que lumière. Le visiteur est au cœur de la pièce, en déplacement face à cette œuvre en mouvement. Le dispositif place ainsi le spectateur dans un environnement visuel et sonore lui restituant les sensations du déchaînement climatique, la fascination de l’esthétique du spectacle naturel et les frayeurs enfantines qui y sont liées.

Sans titre de 1985 révèle un autre aspect essentiel du travail d’Ange Leccia, le questionnement des objets de notre société : des morceaux de parpaings brisés laissent apparaître au centre d’un cube de béton la « neige » de l’écran d’un téléviseur.
L’artiste utilise l’élément d’un univers technologique chargé de transmettre des images et des informations. À l’inverse de l’objectif visé, non seulement l’écran, mis en abime, est en grande partie caché comme au fond d’un puits, mais la lumière qui s’en dégage n’exprime que le vide et la vacuité de l’information, voire son leurre. Ici, le vide est associé à la violence tant dans le choix des matériaux qui renvoient à la guerre et à la destruction que par le désagrément auditif. L’éblouissement et le crépitement qui émanent de ce dispositif questionnent le spectateur sur le rôle de l’image et des médias dans notre société de l’information.

V. D.-L.