Méfiez-vous de Circé la magicienne. Elle n’a pas très bonne réputation. Elle fait encore un peu peur au point que certains poètes grecs et latins l’ont qualifiée de sorcière. Les étymologies sont nombreuses et parfois hésitent entre l’oiseau de proie (le faucon) ou la pharmacienne céleste. Cela s’explique car elle est experte en drogues et en poisons de toutes sortes, elle sait aussi composer des filtres que dieux, déesses ou demi-dieux viennent parfois lui demander afin d’arriver à leurs fins. Homère, Virgile, Hésiode et Ovide ont célébré Circé. Mais c’est Plutarque et Stobée qui l’associent aux phénomènes astraux et circulaires de l’univers, à la course aux étoiles et à la révolution du soleil. Certaines et certains linguistes pensent que le terme de cercle viendrait du nom de Circé. Elle présiderait aux phénomènes circulaires qui s’enroulent tels des bracelets célestes au moment où elle disparaît ou lorsqu’elle envoie un sort. Il serait presque féerique que la gouache d’Alexandre Calder témoigne de cela. Si bien qu’étymologie et généalogie ont des allures de rumeurs que la série de dessins de Bernard Moninot explorent à leur façon. Toutes les potentialités d’un cercle, d’un encerclement, d’un sort et toutes les différences qu’il existe entre un cercle et un rond, un anneau et une boucle. Des mots qui, en réalité, sont des motifs, des tracés ou alors simplement les traces de tout ce qui peut échapper à la vue.
Plus qu’une sorte d’illustration, à partir d’un choix d’œuvres sur papier, L’ordonnance Circé est pensée comme une formule magique. Elle relate et illustre, à l’aune de dessins de la collection de la ville de Vitry, l’épopée des différents épisodes de la vie de Circé, son histoire naturelle. Cette mythographie très libre est donc autant une légende qu’une formule magique. L’abat-jour de Bill Culbert ressemblerait assez bien à l’antre de Circé. Les carnets de croquis de Bernard Rancillac relateraient les différentes métamorphoses dont elle est capable lorsqu’elle transforme les humains en animaux et les pierres en végétaux étranges ou en insectes. Circé est aussi associée à ce que désormais on appelle le biomimétisme. Alcorne, Anisoptères, Corrolaire, Fibulaire de Claude Viseux seraient alors les créatures chargées de la protéger et de la servir, pas tout à fait des nymphes, pas tout à fait des aliens, encore que légèrement inquiétants. Parfois dans leur empressement, entre chrysalides et battement des élytres, elles retrouvent leur signification de nécrophores qui atteste des liens entre mélancolie et entomologie. Camille Bryen n’aurait certainement pas renié la figure de Circé pour peupler ses structures imaginaires. Il ne la cite pas directement mais connait suffisamment bien la mythologie et encore plus la magie pour que la référence ne lui soit pas étrangère. Marie-Claude Bugeaud semble en faire le portrait sous la forme de cercles et de bracelets ou de grandes boucles, attributs contemporains de la magicienne. Michel Katz recherche la nudité de la déesse dans les anamorphoses faites de hautes herbes, de plantes herbacées et d’anatomies estompées. Albert Féraud se situe aussi à l’endroit où se camoufle la déesse. Là où les herbes sont des cils, des toisons, des pelages, des seins ou des corps apparaissent peut-être sans qu’on soit tout à fait sûr s’il s’agit de la nymphe ou de la déesse, il réinvente le terme ancien de blason. Le dessin devient alors cette décoction aux herbes étranges, le précipité magique d’une potion. Les sorcières ont leur formule incantatoire en l’occurrence celle de Jean Messagier « le dos à l’herbe avec les paupières fermées », celle de l’enchantement et du bon et mauvais sort, pour se protéger de celle qui, aux artistes mêmes, joue de bons et de mauvais tours.
Avec les œuvres de Claude Bellegarde, Camille Bryen, Marie-Claude Bugeaud, Alexander Calder, Bill Culbert, Albert Féraud, Michel Guino, Michèle Katz, Bernard Moninot, Bernard Rancillac et Claude Viseux.