David Balula

Installation mixte composée
de quatre photomontages,
une radiographie, un disque
vinyle et une valise,
dimensions variables.
Collection MAC/VAL,
musée d’art contemporain
du Val-de-Marne.
Acquis avec la participation
du FRAM Île-de-France.
Photo © Jacques Faujour.

Notice :

Multipliant les figures possibles de l’artiste – producteur, musicien, plasticien, compositeur dont les créations sonores sont diffusées sous le label français Active Suspension –, Davide Balula mélange sans hiérarchie les disciplines au travers des dispositifs sonores et électroniques, visuels et plastiques.

Le monde existe-t-il bien comme on nous l’a décrit ? Comment déjouer les idéologies qui ambitionnent de nous donner une image standardisée du réel. Davide Balula fait partie de cette génération qui a grandi avec les progrès technologiques, sans angoisse. La question n’est plus celle de l’identité, du « qui suis-je ? », mais du réel et de ses limites.

Concrete Step, Memory Recorder, que l’on pourrait traduire littéralement par « marche concrète, enregistreur de mémoire », est une sculpture mobile, sonore et fonctionnelle – une boîte noire pour piéton – autour de laquelle gravitent quatre photomontages, un disque vinyle et une radiographie en noir et blanc. Voué à l’archivage de l’environnement sonore, cet objet à la forme familière se révèle être un ingénieux système portatif d’enregistrement et de diffusion des déplacements et des paysages traversés, accompagné de sa documentation. Du fait de la mobilité même de l’objet (c’est une valise !), la diffusion sonore peut se faire dans différents espaces : espace d’exposition, jardin, chambre, rue. La valise, naturellement associée à la notion de voyage, de déplacement, est ici modifiée et hybridée à une boîte noire (ou Flight Data Recorder) utilisée en aviation pour enregistrer les informations liées au vol et déterminer les causes d’un accident éventuel (explosion, destruction, immersion). Équipée d’un émetteur sous-marin, la boîte noire produit un signal à ultrason permettant sa localisation en cas de disparition. Comme son illustre et fascinante cousine, Concrete Step, Memory Recorder reproduit ce double mouvement – enregistrement/diffusion –, conservant l’espace acoustique dans son volume de valise pour le restituer à l’écoute de chacun1. Cependant, Davide Balula tire la science du côté de la fiction. La boîte est-elle ici branchée en mode enregistrement ou diffusion ? D’où proviennent les sons que nous entendons ? De paysages traversés par l’artiste ? De souvenirs de voyage inscrits dans notre mémoire, effacés par le temps ? De l’air et des voix qui circulent dans l’espace d’exposition qui l’entoure ? De ces incertitudes, l’œuvre devient énigmatique, poétique.

Ajoutant au sentiment d’angoisse et de doute sur la nature de cet objet, Concrete Step, Memory Recorder (Through X Memories), une photo radiographique, offre comme à la douane d’un aéroport l’image inédite du contenu de la valise modifiée, possiblement dangereuse ! Un système d’enregistrement numérique, un micro binaural, un VU-mètres, un amplificateur, un haut-parleur, une batterie, un transformateur et un enchevêtrement de fils électriques. Un disque vinyle, Memory on Replay (2005, « mémoire en boucle »), porte une bande-son originale d’une durée de 3’08, la durée standard d’une chanson pop, dont la musique et les paroles de Davide Balula racontent l’histoire de cette valise à fabriquer de la mémoire. Cet autre support fixation du son nous fait remonter à la préhistoire de l’enregistrement analogique. Son format contraste fortement avec la sculpture-valise, certes mobile mais étonnamment volumineuse à l’ère des micro- et nano-technologies. Enfin, les photomontages qui accompagnent la pièce maîtresse de cette installation fonctionnent tels des indices pour la résolution de l’énigme. Warren’s Blackbox Prototype le prototype de boîte noire de Warren ») rend hommage à l’un des promoteurs de cette invention, symptomatique d’une époque qui banalise les voyages en avion, annule les distances et le temps du déplacement. Comme par magie.

Par magie encore (ou téléportation), l’artiste atteste sa présence à Las Vegas, aux Pays-Bas ou à Paris. Avec ces images à l’esthétique « photo-souvenir » ou carte postale, Davide Balula semble dire « j’y étais ». La déambulation produit une attitude ou une forme. En effet, la valise, en consignant une dérive, transforme l’archive (ou la mémoire) en matériau sonore et produit une posture spécifique dans la lignée des artistes marcheurs, explorateurs, ethnologues, flâneurs ou touristes. Marcher est un moyen privilégié pour écouter le monde, proche du tourisme dont le transport est constitutif de son identité.

En 2003, Davide Balula inventait avec la pièce Ganattack une cartographie sonore ou phonogéographie en enregistrant sur le parcours d’un passant les sons des espaces parcourus, entretenant le brouillage des pistes entre musique et art plastique initié dès les années 1950 par John Cage, compositeur, poète et plasticien américain, qui érigea les sons concrets, non intentionnels, de la rue, du corps ou du vent au statut de musique.

S.A

Écouter ou télécharger l’intégralité de l’audioguide du parcours#3

1Dans l’exposition «  Le lac, le mensonge  » (16 mai-31 août 2008), Davide Babula utilisait sa «  valise modifiée  » pour archiver la mémoire sonore de l’espace d’exposition et pour la traduire ensuite en impulsions lumineuses. Elle était reliée à une installation lumineuse intitulée 1/24, qui variait en fonction du son. Concrete Step, Memory Recorder se révèle alors être une sculpture ouverte dans ses usages et fonctionnalités. L’artiste expérimente grâce à ses dispositifs les multiples modifications de la matière sonore, en lumière, en formes, en souvenirs à partager.