De l’artiste à l’œuvre
Shilpa Gupta
Née en 1976 à Bombay (Inde), vit et travaille à Mumbai (Inde)
L’inconscient technologique
Depuis sa formation en sculpture à l’école d’art Sir J. J. School (Mumbai, Inde) entre 1992 et 1997, cette jeune artiste est rapidement devenue une habituée d’importantes manifestations internationales (Biennale de Lyon 2009 et 2007, Biennale de La Havane 2006, Bombaysers, Lille, 2006). Cette activité intense et continue ne l’empêche pas de participer au collectif d’artistes « Open Circle » à Bombay ou encore au projet d’échange « Aar Paar » entre l’Inde et le Pakistan, dont elle est co-fondatrice. L’artiste confie ainsi sa capacité à s’adapter à n’importe quel endroit pour travailler, dans des conditions même minimales, tant qu’elle peut prendre le pouls d’une ville, de ses habitants, de son urbanisme, éléments moteurs de sa recherche et des performances qu’elle crée. Cette aisance provient aussi de son outil de travail principal, l’ordinateur et ses nombreuses potentialités, comme internet. Ce qui l’intéresse avant tout dans la technologie est sa « portée émotionnelle et conceptuelle » et sa capacité à interroger nos modes de vies et croyances, notre psychisme et nos automatismes, les appartenances communautaires et les préjugés.
Art et science
Shilpa Gupta conçoit ainsi des œuvres hybrides où des objets usuels peuvent côtoyer des objets technologiques, ou encore lorsque la technologie s’anime comme un être vivant telle l’œuvre monumentale Singing Cloud (2009) présentée au Laboratoire à Paris. La « peau » de ce nuage suspendu est constituée d’un assemblage de micros et d’éléments sonores. Réagissant à l’environnement, alternant sommeil et sursauts, cet essaim se transforme en une créature polyphonique, une forme de gigantesque œil de mouche d’où émanent à certains moments, une multitude de voix, de souvenirs et de langues. Nous sommes donc loin de la froideur technologique mais au plus près de l’irrationnel. La technologie est un médium, un matériau à manipuler, à agencer entre le son, l’image et la perception.
L’artiste collabore ainsi régulièrement avec des chercheurs, des scientifiques comme Noam Chomsky qu’elle a interrogé sur sa vision actuelle des médias. Selon elle le point commun entre l’art et la science est bien cette recherche continue de compréhension du monde. Shilpa Gupta s’est également intéressée au phénomène de la peur, en l’expérimentant très concrètement…Elle a ainsi proposé à des personnes de déambuler dans l’espace public avec un sac où est inscrit « There is no explosive in this ». Cette phrase est devenue le titre de l’ensemble photographique qui restitue les traces de cette expérience radicale, interactive dans la performance, hors du dispositif technologique.
Interactivité, imagination et temporalité
Accueillie en résidence au MAC VAL en 2007, Shilpa Gupta a produit trois œuvres, Untitled (Shadow 3), Memory et Don’t worry, you too will be a star qui s’inscrivent dans la continuité de ces recherches et de son principe de collaborations avec d’autres professions. Ces œuvres se font écho l’une l’autre.
Dans l’installation Untitled (Shadow 3), le visiteur se trouve littéralement projeté entre deux ombres : la sienne, étrangement présente dans l’écran face à lui, et une ombre ‘‘inidentifiée’’ (objet, individu…) qui surgit à chacun de ses gestes et qui vient ainsi dialoguer avec la première ombre, ‘‘réelle’’, s’y accrocher ou bien se déplacer vers une autre ombre correspondant à un autre visiteur. L’installation se transforme en jeu vidéo collectif, physique, sans manette ni scénario, mais plutôt comme une page blanche pour l’inattendu et l’improvisation. Elle prend également des accents plus graves et laisse la place à un autre temps, plus proche de l’arrêt et de la réflexion lorsque à la fin du cycle, le théâtre d’ombres fait disparaître les visiteurs noyés sous une mer d’objets. Le cycle se conclut également sur des paroles centrées sur la condition humaine.
Cette vanité contemporaine trouve un écho emprunt de cynisme avec Don’t worry, you too will be a star, une simple accroche lumineuse à l’adresse du spectateur. Sans commentaire pourrait-on ajouter, au vue du monde contemporain où la célébrité est tous les jours plus inattendue mais aussi plus réversible et éphémère. Invitation à contrario, Memory inscrit en creux dans les murs du musée les lettres du mot « mémoire », arrêt sur le temps pour le visiteur, entre l’intérieur et l’extérieur du musée. La jonction de cette persienne est ainsi une invitation à se projeter vers le futur, après que le passé, la mémoire aient trouvé un lieu d’inscription.
On perçoit ici tout le sens de la recherche sur la technologie animée par Shilpa Gupta qui appuie les évidences : loin de toute désincarnation, d’un futur utopique et d’un passé inlassablement révolu par le progrès, la technologie ne fonctionne qu’en relation avec le temps, le vivant, la pensée et l’humain.
Extrait biographique
Shilpa Gupta est née à Bombay (Inde) en 1976. Elle vit et travaille à Mumbai (Inde).
Sculpteur de formation, elle crée souvent à partir des possibilités offertes par les nouvelles technologies : sites Internet, écrans tactiles ou projections interactives.
Le visiteur est amené à expérimenter les œuvres, dans lesquelles l’artiste aborde des thèmes politiques (violence raciale, trafic d’organes, disparition de l’être cher dans un conflit armé, etc.) ou philosophiques.