Bois, linoléum, porte-manteau, vêtements, néons colorés ;
193 x 540 x 323 cm.
Collection MAC/VAL,
musée d’art contemporain
du Val-de-Marne.
Acquis avec la participation
du FRAM Île-de-France.
Photo © Jacques Faujour.
Notice
Autodidacte, Pierre Ardouvin obtient, dans la première moitié des années 1990, un lieu à Montreuil qu’il autogère avec Véronique Boudier et Jean-François Guillon, et qui voit de nombreux jeunes artistes y faire leur début. « À l’écart », lieu actif pendant quelques années, permet à Pierre Ardouvin de préciser sa pratique. Ses œuvres procèdent de manière
récurrente du « collage » dans le « bricolage ». C’est un artiste « sur le motif », le motif étant notre société et ce qu’elle génère. Élaguer un ridicule sapin de noël en plastique (Élagage, 1995), affubler de ressorts une paire de chaussures « pour mieux rebondir » (1995), assembler deux manteaux de fourrure pour en faire une vague peluche zoomorphe sous le titre Sans queue ni tête (2004) ou bien encore, dans Love me tender (2001), convoquer une auto-tamponneuse qui s’ennuie profondément sur une piste de 4 x 3 m sans même pouvoir tourner en rond sur la ritournelle éponyme.
Tout l’art de Pierre Ardouvin est dans la recomposition, le pas de côté, l’humour qui prend l’eau, la marche sur laquelle on vient buter, le plomb dans l’aile. Pierre Ardouvin nous narre, avec un vocabulaire du cheap, des matériaux de base, des structures standard, des chansons formatées, une paire de « récits autobiographiques collectifs ». Petite particularité : ses installations, ses readymade « augmentés », ses environnements sont régulièrement précédés d’aquarelles, quand d’autres se servent d’un bloc-notes.
Chaque œuvre de Pierre Ardouvin doit être apte à déclencher des affects, des émotions grâce à sa capacité à réunir des objets connus, repérables, chargés historiquement ou sociologiquement : lino, contreplaqué, voiture, tourne-disque, carte postale, canapé, musique. Jamais dépourvu d’humour, Pierre Ardouvin aborde pourtant des questions pesantes telles que la fin des utopies, le libéralisme à tout crin, les contraintes imposées au corps social, les replis identitaires, la société du spectacle et de contrôle, l’enfermement, l’isolement et la grande désillusion. L’Île est une plate-forme surélevée de quelques centimètres seulement, vêtue d’un linoléum « imitation plancher », avec pour unique décor un porte-manteau (un perroquet pour être exact) esseulé, couvert de vêtements déclinant une inquiétante monotonie. L’espace d’exposition baigne dans la lumière bleue des néons placés sous la fausse scène, allégorie du lagon. L’installation déconcerte à première vue. Le fameux rêve de l’île déserte, au milieu du Pacifique, s’écroule dans la banalité de ce morceau d’intérieur à la dérive. « La route de campagne avec arbre » est devenue « une île déserte avec palmier ». Vladimir et Estragon ne sont plus là. Godot viendra demain, peut-être (ou pas). En attendant, on lit la déception dans cette scène à la fois fantasmée et tellement ordinaire. Vivre ensemble dans la solitude.
L’œuvre a été présentée pour la première fois dans un contexte bien particulier : une galerie associative, Artconnexion, à Lille, en 2007. Le titre évoque « l’énorme meringue culturelle » de Lille 2004, l’outrance du spectacle et la marchandisation de la culture. La culture servit à ce moment précis comme moyen de « vendre » une ville et sa région à des investisseurs qui auraient préféré les Jeux olympiques, plus rentables.
« Mais n’oublie pas, toi si belle
Les avions se cassent
Et la terre est basse
Holidays »
Michel Polnareff, Holidays, 1972
Prenez une voiture brûlée, mais pas accidentée, collez-lui des spots lumineux, un peu disco, tournoyant à l’intérieur de l’habitacle mis à nu, faites tourner cette bonne vieille Clio, maintenant hors d’usage, en la plaçant sur un pont tournant. Mettez-là sur une moquette de base bleue (un peu flashy, type FIAC ou Salon de l’auto), agrémentez le tout de lumière blanche hémisphérique au sol, sans oublier d’y incorporer un peu de musique. Prenez par exemple un de ces chanteurs populaires, Michel Polnareff, et une de ces chansons que l’on pourrait mélanger avec goût au reste (allons pour Holidays). Diffusez la musique à l’envers et vous obtenez une œuvre (Holidays, 1999) de Pierre Ardouvin. Renversant à plus d’un sens. La violence sociale, l’avion qui s’écrase (dans la chanson), l’ennui, la révolte, la haine, la désillusion de ceux qui ne partiront pas. Pierre Ardouvin sait que l’on évalue aujourd’hui une nuit de violences urbaines au nombre de voitures brûlées. Pierre Ardouvin plombe. Le sourire se crispe. Le malaise doucement s’installe.
Jean Baudrillard annonçait : « Nous avons parcouru tous les chemins de la production et de la surproduction virtuelle d’objets, de signes, de messages, d’idéologies, de plaisirs. Aujourd’hui, tout est libéré, les jeux sont faits, et nous nous retrouvons collectivement devant la question cruciale : Que faire après l’orgie ? » On plie les gaules, il fait un vrai temps de chien ici.
J.B.
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