2007
Photographie cibachrome contrecollée sur aluminium, 124,5 x 124,5 cm.
Collection MAC/VAL, musée d’art contemporain du
Val-de-Marne.
Acquis avec la participation du FRAM Île de France.
Photo© Jacques Faujour.
Notice
Photographe de mariage au milieu des années 1970, puis responsable de l’image de marque d’une entreprise multinationale au début des années 1980, Jean-Luc Moulène est idéalement placé pour observer le fonctionnement et la rhétorique des publicitaires. Travaillant plus volontiers l’énigme que le secret (véritable outil de pouvoir au service des communicants), il construit des « images publiques », produites par la ville même, qu’il appelle également « le bruit du monde ». Il photographie le banal, se penche, pour en comprendre la logique, sur les représentations stéréotypées qui, à l’opposé des « images publiques », prennent naissance dans l’industrie médiatique. Il ne s’agit cependant pas d’une critique de ces archétypes, de ces mythes contemporains, comme avait pu l’édifier Roland Barthes dans ses Mythologies. L’artiste n’explique pas, ne documente pas, ne prend pas le pouvoir. À l’instar des auteurs moralistes français qui, au xviie siècle, ont exploré les comportements sociaux de leurs contemporains (parmi eux Madame de Sévigné, Bossuet ou encore Jean de La Fontaine), il témoigne et transforme en faits les événements observés, par la fable, le récit. « Je ne pourrais trouver aucune satisfaction, aucun plaisir, à traiter des lieux communs actuels si je ne pensais pas qu’ils puissent être investis d’une puissance singulière, d’une force de travail naturelle. »
La Fontaine aux amoureux, Paris, 3 avril 2006 : le format de cette photographie est proche du carré obtenu par l’usage du 6 x 6, adapté au portrait, instaurant une relation de proximité codifiée entre le photographe et le portraituré. Ici, point de personnages mais des objets font donc figures. D’une bouche d’égout en bordure de trottoir s’échappe par gros bouillons une eau constellée de confettis. La diagonale de la bordure du trottoir détermine l’axe autour duquel s’organisent les différents acteurs de la scène : la voiture et sa roue, la « fontaine » qui jaillit et se répand sur l’asphalte, métaphore du sentiment ou, plus certainement, de l’acte amoureux. Ce micro-événement, daté du 3 avril 2006, est transformé par la magie du titre en fontaine miraculeuse racontant autre chose qu’une urbanité banalisée, grise et fonctionnelle. Le cadrage permet l’émergence d’un regard, d’une pensée qui va raconter le réel, créer un pont entre ce dernier et un imaginaire. La photographie par sa construction fait naître les objets, leur donne consistance, les dote d’un pouvoir métaphorique. Elle replace ici la grisaille urbaine, la géométrie froide des rues en présence d’une humanité qui abandonne dans le caniveau les traces de son existence. Peut-être une alternative à la photographie de mariage autrefois pratiquée par l’artiste qui, traditionnellement, borne un espace social commun aux représentations stéréotypées ?
(J.-L.M.).
S.A.