2007
Installation vidéo interactive, son, 7’.
400 x 900 x 1000 cm.
Production MAC/VAL.
Collection MAC/VAL,
musée d’art contemporain
du Val-de-Marne.
Photo © Jacques Faujour.
Notice
Après une formation en sculpture à Bombay entre 1992 et 1997, Shilpa Gupta expose régulièrement en Inde dès 1996 et dans différentes manifestations internationales depuis 2001. Accueillie deux mois et demi en résidence au MAC/VAL entre juillet et octobre 2007, elle y a produit trois œuvres : la troisième version de Shadow, Memory et Don’t worry, you too will be a star.
Shilpa Gupta explore les potentialités des nouvelles technologies et crée des sites Internet, des écrans tactiles ou des projections interactives, tous ces moyens de communication devenus familiers et utilisés quotidiennement. Le visiteur est invité à expérimenter et à s’interroger sur la violence raciale et le trafic d’organes avec Blame (2002-2004) ou sur la disparition de l’être cher dans les conflits armés avec Sans titre (Demi-veuves) (2006), pièces présentées à « Lille 3000 » en 2006.
Dans la série « Shadow », les ombres des spectateurs, capturées par une caméra, rencontrent sur l’écran blanc des ombres projetées ; ces dernières, ombres d’objets ou de poupées, comme tombant du ciel, sont arrêtées par les ombres des visiteurs. La première version de Shadow (2006), créée pour le centre d’art de Halle, Francke Foundation and Werkleitz, mêle les ombres des spectateurs à celles d’autres personnages marchant, dansant, sautant, tandis que dans la deuxième version, réalisée pour la Biennale de Liverpool (2006), ce sont des ombres de maisons et des silhouettes d’oiseaux qui semblent chuter à travers l’espace et venir s’accrocher aux ombres des visiteurs.
Dans cette troisième version, les objets ne sont pas clairement identifiables car les changements d’échelle laissent libre cours à l’imagination. Ce jeu vidéo interactif implique les spectateurs à la fois individuellement, les amenant à se déplacer dans l’espace, et collectivement, ceux-ci pouvant échanger entre eux les objets qui s’agrippent à leurs ombres. À la fin du cycle, le théâtre d’ombres fait disparaître les visiteurs, noyés sous une mer d’objets. Pour réaliser ces installations interactives, Shilpa Gupta a fait appel à un programmateur informatique et à un concepteur sonore. Sa création est un travail d’équipe, tout comme l’est la réalisation d’un film.
Sous une forme ludique, Shilpa Gupta développe une métaphore autour de la mémoire et du corps, les objets qui tombent symbolisant un passé irréversible, qui « colle à la peau », ainsi que le suggèrent le son et les paroles prononcées à la fin de chaque cycle : « His dead, our dead, your dead, our dead, her dead, Is the land not well marked ? Is the sky not able to hide and drink it ?1 »
Le propos de l’artiste est plus grave qu’il n’y paraît au premier abord. Jouant de la fascination esthétique et techniciste, elle dénonce les paradoxes de nos sociétés. Comment réagissons-nous face aux images ? De quelle façon la propagande médiatique modifie-t-elle nos comportements ? Convoquant à nouveau la question du passé, Memory inscrit en creux dans les murs du musée les lettres du mot « mémoire » : comme percé dans le mur de béton, il permet à la fois d’apercevoir l’extérieur du bâtiment par les fentes des lettres et de laisser entrer la lumière des rayons du soleil en fonction des heures de la journée. Ces rais graphiques se déplacent imperceptiblement, prenant une forme et une intensité différentes selon les variations saisonnières et climatiques, voire le temps d’une visite du musée.
Cette œuvre très poétique renvoie également à notre propre souvenir du bâtiment. Visible de l’extérieur comme de l’intérieur, elle joue de la transparence, du plein et du vide, et des souvenirs fugitifs que nous pouvons conserver de nos précédentes visites, opacité et foudroyance de la mémoire. Don’t worry, you too will be a star est une accroche en guirlande lumineuse. Elle apostrophe le visiteur quant à son désir de célébrité, mettant en cause le caractère habituellement exceptionnel, « inatteignable » de la star. Entraînant une perte d’aura pour les stars, la surmédiatisation offre en même temps à chacun la possibilité d’accéder à ce statut.
Tout en ayant l’air de rassurer le spectateur, Shilpa Gupta le met en garde vis-à-vis de cette fascination pour la notoriété et de sa vacuité. Comment faire avec le leurre de la célébrité, avec la banalité et comment « s’arranger » avec son histoire, avec son passé ? Comment vivre ? Si l’œuvre de Shilpa Gupta est protéiforme, ces trois productions bien distinctes offrent toutes un questionnement sur la mémoire, recourent à l’utilisation de la lumière, naturelle ou artificielle, avec une maîtrise des nouvelles technologies qui permet de capter l’attention du spectateur en l’interrogeant sur des problématiques individuelles et collectives.
V.L.