L’art est, de tout temps, une caisse de résonance des questions de société. Les artistes y « réfléchissent » leur époque et ses enjeux. L’histoire des relations entre art et économie est longue. Elle est balisée par de nombreuses et importantes expositions qui laissent la part belle aux formes que l’on pourrait rapidement regrouper sous l’appellation d’economic art (depuis les obligations pour la roulette de Monte-Carlo de Marcel Duchamp en 1924 jusqu’aux activités entrepreneuriales d’un Fabrice Hyber). Pour « Zones de Productivités Concertées », cycle de vingt et une expositions monographiques réparties en trois chapitres sur toute la saison 2006-2007, il s’agit de décaler la perspective.
En réunissant des univers artistiques qui, à un moment de leur processus, mettent en œuvre des questionnements économiques (le travail, l’échange, la production, le stock, l’activité, la fonction, les flux, l’atelier), ce n’est pas tant à des développements thématiques que ce cycle d’expositions convie le visiteur, mais à une analyse décalée.
L’économie – ses interrogations, ses concepts, sa pensée – y est envisagée comme un filtre d’analyse de certaines pratiques artistiques contemporaines. Les œuvres des artistes invités ne se situent pas dans un rapport illustratif ou mimétique face à la sphère économique. Polysémiques, elles dépassent très largement ces notions. L’économie est ici un prétexte. L’hypothèse de travail est la suivante : que se passe-t-il si, dans la relation analytique et critique aux œuvres, est opéré un pas de côté ?
Ce cycle d’expositions pose, en outre, une articulation particulière entre expositions monographiques et approche thématique. Si les expositions sont autonomes, elles sont néanmoins englobées dans un spectre d’analyse unique. Interrogeant ainsi, au-delà de la thématique parcourue, la notion même de programmation. Chaque chapitre de cette histoire proposera des rencontres, des collisions entre des univers artistiques hétérogènes dans un espace qui allie blocs d’intensités et zones de circulations, d’échanges, d’autonomie, d’activité.
Anthropologue a-morale et sentimentale des images et représentations, Sandy Amerio décrypte les signes et agencements émis par le monde contemporain : impact, résurgence, révolution… Elle analyse comment certains phénomènes sociaux informent la construction de l’inconscient collectif et machinique du monde. Dans des dispositifs quasi cinématographiques, Alain Bernardini s’attaque à l’image du travail. Et de son grand impensé : l’inactivité. En s’immisçant dans les flux de production, il y introduit du suspens, il met à jour des moments de pause dans le flux du réel. Jouant de la tension inhérente au travail salarial (vendre sa force de travail), il résiste à toute idéalisation des représentations de la productivité héroïque, pour réfléchir et infléchir peut-être l’image du travail. À qui appartiennent les images ? Quelle valeur pour l’image ? Quelle place pour l’artiste dans un système économico-culturel parfois kafkaïen ? Raphaël Boccanfuso travaille au dévoilement des structures invisibles de l’appareil idéologique, s’immisce tel un virus corrosif dans une société de contrôle et de l’image. Dans ses sculptures, Daniel Firman envisage le corps dans ses relations à l’espace qui l’entoure et dans lequel il évolue. Espace mémoriel, physique, social, psychique. Métaphores ou actions, ses œuvres évoquent et travaillent le déséquilibre contemporain.
Élodie Lesourd pratique un art de l’appropriation et de la post-production. Du remix inspiré de la philosophie du Do It Yourself punk. Hybridant les genres, de Barthes au death metal, en passant par l’art contemporain, détournant les références, elle joue pleinement, en peinture, des phénomènes inhérents à la reprise.
Pascal Pinaud interroge sans relâche le champ de la peinture (ses outils, ses procédures, ses moyens, ses limites, ses possibles). Menant une entreprise polymorphe de « mise en questions » de la peinture, il déplace l’atelier, il met en œuvre des procédures mécaniques, industrielles. Cette mise en jeu des possibilités de la forme et de la notion de tableau, de la notion d’authenticité, passe par une pratique diffuse, quasi anonyme, de la création revendiquant l’absence d’un style unique.
Frank Lamy