De l’œuvre à l’artiste
Mona Hatoum Née en 1952 à Beyrouth (Liban), vit et travaille à Londres (Royaume-Uni) et Berlin (Allemagne)
Éprouver la distance
_Palestinienne d’origine, née à Beyrouth, Mona Hatoum quitte le Liban pour un voyage sans retour, puisque la guerre éclate entre temps. Elle s’exile en 1975 et se forme à Londres où elle s’installe. Elle a étendu son lieu de vie et de travail à une autre capitale, Berlin. Ces allers-retours constants entre deux villes s’ajoutent au flux de voyages qu’elle mène pour ses expositions internationales.
Dans ses premières œuvres dans les années 1980, elle met en scène le corps et le corps de la femme dans des situations de blocage, d’enfermement et de résistance. Under Siege : expérience hautement éprouvante où Mona Hatoum passe sept heures nue dans un cube transparent rempli de boue liquide. Extrapolant cette relation entre l’intérieur et l’extérieur, l’artiste provoqua la stupeur en 1994 à Paris, avec son installation vidéo Corps étranger, exposée au Centre Pompidou. Elle invitait à une exploration de son propre corps mis à nu par une caméra endoscopique. On découvrait son incroyable géographie interne : des forêts, des volcans, des mers, des déserts, tous les reliefs de cette terre « étrangère » aussi intime qu’inconnue, aussi individuelle qu’universelle.
Au propre comme au figuré, suivant différents médiums, pratiques et références (minimalisme, Arte povera), Mona Hatoum travaille et fait partager une errance aux limites de l’angoisse. Le spectateur éprouve physiquement ces jeux d’échelles, des mondes apparemment familiers qu’elle présente détachés de leur contexte, agrandis ou miniaturisés et dont l’usage a été perturbé. Les objets du quotidien sont ainsi la matière de nombre de ces installations (Sous tension, 1999, Homebound, 2000). La géométrie austère du grillage et des cages de Light Sentence (1992) agit de la même façon que l’élasticité des parois du tube digestif de Corps étranger.
Si le fait d’exposer la violence de la condition féminine peut être qualifié de position « féministe », alors oui, Mona Hatoum est féministe. La vidéo Maesures of distances (1998) montre ainsi un autre corps, sous la douche, celui de sa mère. Ce corps est relié à un récit, un échange par lettres avec sa fille, et cette correspondance fait surface, fait écran ou offre un plan transparent dans l’image vidéo.
Sexualité, exil, déracinement, violence et intimité, la vidéo synthétise nombre de préoccupations de l’artiste ainsi que celles de toute une génération. L’œuvre de Mona Hatoum est ainsi souvent qualifiée de fondatrice, dans l’art contemporain.
Géographie de la distance
Sa recherche constante de nouveaux territoires l’a conduite au MAC/VAL en 2009, dans le cadre d’une résidence et donc d’une création élaborée par rapport aux données et coordonnées d’un territoire. Elle a saisi l’occasion de reprendre et décliner un motif privilégié dans son travail : la carte. Continental Drive (2000) : Mona Hatoum organisait une dérive de miroirs en forme de continents, suivant le mécanisme d’une horloge. Zone mitée dans un tapis (Afghan, red and black, 2008), flux qui déforment la découpe géographique des continents (Routes V, 2008), des petites billes de verres assemblées en une carte du monde à même le sol, qui provoquent le visiteur pour un dérapage (Map, 1998)…cette obsession de Mona Hatoum produit toutes les formes possibles.
Au MAC/VAL, avec l’installation Suspendu, la carte devient un jeu de position, en attente de mouvement, formant une forêt de quarante balançoires. Chaque assise est gravée du plan d’une capitale ou d’une ville liée aux habitants rencontrés et aux communautés présentes à Vitry-sur-Seine. Découpés nets dans le bois, ces plans géométriques aux lignes brisées ou interrompues, représentent par leur tracé autant de parcours vécus, de relations entre l’Histoire et des expériences familiales, individuelles. L’instabilité et l’équilibre, la distance temporelle entre l’enfance et l’âge adulte entrent en résonance avec les lourdes chaînes qui semblent clouer chaque balançoire dans l’air. Elles évoquent à contrario le duo de balançoire A couple (of swings),1993. L’assise en verre associe légèreté et fragilité ainsi que la frustration liée à l’impossibilité du jeu et de l’usage, sous peine de brisure.
Réseau de places assignées, espace de jeu inquiétant, ce planisphère invite tout autant à la déambulation et aux échanges de positions. Une tectonique des plaques est à imaginer : elle déplace ainsi la verticalité des chaînes vers l’horizontalité des planches, leur possible rencontre, bousculade et balancement latéral. Les installations de Mona Hatoum semblent avoir la capacité de laisser le champ libre à des élaborations, des changements de plan, de regards, au-delà d’une immédiateté première.
Entretien avec Mona Hatoum
A propos de « Suspendu », entretien avec Mona Hatoum