Série des « Stèles pour Neruda », 1975-1976.
Acrylique et spray sur toile froissée, marouflée sur toile apprêtée,
220,56 x 151 cm.
Notice
Septembre 1973, quand fut assassiné le Chili de Salvador Allende, quand mourut Pablo Neruda… La maison du poète fut pillée, son jardin violé et le crime contre l’avenir de l’Unité populaire fut perpétré contre les fleurs, contre les fruits. Mais « la vie tient dans chaque cicatrice », avait dit Neruda. Quand à l’autre bout de la terre, dans son atelier, un peintre reprenait en main le théâtre d’opération de sa peinture pour mettre au jour d’autres cicatrices, la mémoire de tout un peuple dans la parole volcanique du poète.
Pour Ladislas Kijno, il ne s’agissait pas d’illustrer Neruda, mais de rendre visible l’écho de son chant, d’explorer la dimension inconnue de ses images. Ainsi furent érigées ces « Stèles » pour Neruda. Plis contre plis et rythmes contre rythmes, par recouvrements et découvrements provoqués, comme si par le geste de peindre et de froisser, Kijno voulait se saisir soudain de la nature de son travail sur le réel.
Le passage du papier froissé à la toile froissée confère à ce mode technique expérimenté par le peintre dès 1946 un caractère plus âpre et plus violent. Froisser, défroisser relaie en quelque sorte l’impulsion du geste et sa trajectoire, se substitue à l’inscription de son signe sur la toile. Perturbant les tracés du pinceau et les pulvérisations de la bombe, le froissement du tissu, dans sa rétraction générale, produit simultanément la contraction et la dilatation de l’écriture, une extension potentielle de son champ chromatique.
La série se compose de trois triptyques thématiques. Le troisième, celui de l’homme de douleur et de gloire, comprend la Stèle de la coupe rouge, qui est l’offrande fraternelle de la solidarité ; la Stèle de l’ombre, que nous portons partout à travers le monde ; et cette Stèle du sperme vert, puisque Neruda te le dit, mon frère : « Tu es chargé de sperme vert comme un arbre nuptial. »
Raoul-Jean Moulin