Si l’histoire des relations entre art et économie est longue et complexe, avec le déploiement de formes que l’on pourra regrouper rapidement sous l’appellation d’economic art, depuis les obligations pour la roulette de Monte-Carlo de Marcel Duchamp en 1924 jusqu’aux activités entrepreneuriales d’un Fabrice Hyber, elle est également balisée par de nombreuses et importantes expositions.
Pour « Zones de Productivités Concertées », cycle de 21 expositions monographiques réparties en trois volets sur toute la saison 2006-2007, il s’agit de déplacer la perspective. En réunissant des univers artistiques qui, à un moment de leur processus, mettent en œuvre des questionnements économiques (le travail, l’échange, la production, le stock, l’activité, la fonction, les flux, l’atelier…), ce n’est pas tant à des développements thématiques que le visiteur est convié, mais à une analyse décalée. L’économie – ses interrogations, ses concepts, sa pensée – y est envisagée comme un filtre critique de certaines pratiques artistiques contemporaines. Les œuvres des artistes invités ne se situent pas dans un rapport illustratif ou mimétique face à la sphère économique. Complexes et polysémiques, elles dépassent très largement ces notions.
L’hypothèse de travail est la suivante : que se passe-t-il si, dans la relation analytique et critique aux œuvres, est opéré un pas de côté ? Ce cycle d’expositions pose, en outre, une articulation particulière entre expositions monographiques et approche thématique. Si les expositions sont autonomes, elles sont néanmoins englobées dans un spectre d’analyse unique. Interrogeant ainsi, au-delà de la thématique parcourue, la notion même de programmation.
Chaque chapitre de cette histoire proposera des rencontres, des collisions entre des univers artistiques hétérogènes dans un espace qui allie blocs d’intensités et zones de circulations, d’échanges, d’autonomie, d’activité. Depuis 1990, dans un geste paradoxal d’autocensure créatrice, on assiste dans l’œuvre de Daniel Chust Peters à la récurrence obsessionnelle d’un même motif, décliné sous différentes formes : l’atelier. Le lieu du travail artistique devient le sujet même de l’œuvre, suscitant à chaque apparition de nouveaux scenarii d’appropriation par le visiteur.
Les œuvres de Nicolas Floc’h s’ancrent dans une réflexion aiguë sur les processus de désintégration et de régénération, de déconstruction et de reconstruction. Donner corps à la transformation, à l’activité, au cycle, en appeler à la collaboration permanente, questionner les notions d’usage, de fonctionnalité, de consommation, de devenir constituent les bases de ce travail protéiforme et performatif. Sheena Macrae, quant à elle, s’empare et manipule des produits de l’industrie cinématographique. Elle maltraite le matériau filmique pour en révéler l’essence. Post-productrice, elle compresse, accélère, diffracte pour mettre à jour les formes standardisées de la narration, les clichés hollywoodiens ou les contraintes économiques sous-jacentes de l’entertainment tout-puissant. Pour Jonathan Monk, l’histoire de l’art (au travers de ses formes, de ses postures, de ses anecdotes) constitue un stock, un répertoire de formes où puiser.
S’appropriant les stratégies de l’art conceptuel et de l’art minimal des années 1960-1970, démystifiant les impératifs de pureté et d’autonomie promulgués par ses prédécesseurs, il opère une contamination productive, autobiographique et quotidienne. L’autoréférentialité de l’art moderne devient un terrain de jeu, une zone d’usages et d’activités.
François Paire met en scène des machines ambivalentes. Déplaçant des images inadaptées, faibles et pourtant lestées – l’étiquette de fruit, sorte d’anti-logo, dont on ne reconnaît pas ce qu’il désigne (produit, producteur ou diffuseur ?) –, les insérant dans des dispositifs publicitaires, rendus inopérants quant à leurs objectifs d’origine, c’est à une lecture critique de l’usage de l’image dans les sociétés contemporaines qu’il se livre. Claude Rutault met en place en 1973 un protocole fondé sur l’énoncé de prescriptions écrites déterminant les conditions de réalisation de son travail : un protocole de fabrication, qu’il nomme définition/méthode (d/m). L’œuvre n’existe qu’à la faveur d’un échange entre l’artiste et le preneur en charge (collectionneur ou institution) auquel l’actualisation de l’œuvre est déléguée. Le preneur en charge devient responsable et opère les choix nécessaires à l’apparition de l’œuvre, parmi l’infini des possibles chaque fois encadrés par les d/m. Au-delà de cette position picturale pour le moins radicale, il s’agit donc, entre autres, de mettre en crise les notions de valeur, de fétiche associées à l’œuvre d’art, et plus particulièrement au tableau.
Frank Lamy