2008

Michel de Broin

De l’œuvre à l’artiste

Michel de Broin
Né en 1970 à Montréal (Canada), vit à Montréal et Berlin (Allemagne)

Agent extérieur
Entre le Canada, la France et l’Allemagne, Michel de Broin distille depuis plus de quinze ans ses expérimentations et inventions. Elles mettent à nu le fonctionnement et les apories des systèmes de pouvoir. Parallèlement à sa maîtrise à l’Université de Montréal, L’Opacité du corps dans la transparence des circuits, sa première exposition en 1997 au Circa (Montreal), annonçait déjà les préoccupations à venir de Michel de Broin, tel un manifeste. Un circuit électrique constitué d’un câble relie deux récipients d’huile minérale où sont respectivement immergés un verre de vin rouge et, dans le second, une ampoule électrique. Vaine expérience aux allures scientifiques ? Le vin, piètre conducteur, perturbe le flux énergétique. Le visiteur peut ainsi opérer un court-circuit entre ce qu’il voit et ce que l’installation montre en creux : une perte invisible d’énergie, une forme ‘‘douce’’ de sabotage et de résistance par un « corps opaque », un agent extérieur. La vidéo Fuite (2009) poursuit cette expérience et produit un humour à contre courant : il s’agit bien de fins jets d’eau qui s’échappent des deux trous d’une prise électrique. Le visiteur pourrait donc autant proposer le titre de Fontaine à cette proposition, potentiellement dangereuse.

À contre courant
Ainsi Michel de Broin ne cesse de décliner des systèmes d’opposition, d’apparence inoffensifs, mais hautement perturbants. Révolution (2010), monumental escalier en colimaçon de 40 mètres installé dans le cloître du Couvent des Jacobins (Biennale Les Ateliers de Rennes) offre à celui qui l’arpente l’étrange expérience d’un « éternel retour ». Hommage détournée à la Tour Tatline ? Les deux fonctions de l’escalier, monter et descendre, sont ici indissociables : l’ascension est la descente, sur un même plan, comme dans les labyrinthes irrésolubles de M.C.Escher et suivant l’idée du cycle, infini.
Michel de Broin explore également l’histoire de l’art, les changements de regard sur les œuvres avec un intérêts pour les avant-gardes du début du XXe siècle, en rupture avec des codes classiques. Matière dangereuse (1999-2004) exploite ainsi l’analogie entre deux images, deux fonctions du carré noir. Michel de Broin voit dans les panneaux de signalisation à l’entrée des tunnels routiers en périphérie de Montréal, une reprise de l’iconographie du Carré noir sur fond blanc (1915), peint par Kasimir Malévitch et considéré comme le premier monochrome. Pour briser l’interdit et contourner la règle, Michel de Broin s’est introduit sur les autoroutes avec un cube noir sur le toit de sa voiture. La performance a donné lieu à toute une série de photographies, jusqu’à la mise en scène d’une arrestation par des policiers.

Énergie réciproque
Énergie réciproque, titre de l’exposition au MAC/VAL, suite à la résidence de l’artiste en 2008, pourrait résumer à lui seul le travail de Michel de Broin. L’exposition réunit en effet l’ensemble de ces préoccupations ainsi que les différents médiums qu’il aime travailler. Quatre œuvres, Interpénétration profonde, Sans titre, Station, Transestérification, entre sculpture, film et maquette, proposent une alternative plus ou moins improbable, à la crise actuelle de l’énergie.
Que l’on juge en effet de la proposition Transestérification…La crise des ressources naturelles et de l’énergie est également un des lieux communs violemment absurde et destructeur du monde contemporain. Film au scénario abracadabrantesque, au réalisme décapant, Transestérification suit un homme d’une pâtisserie à son propre laboratoire domestique, après avoir récupéré sa propre graisse grâce aux talents de la pâtissière qui dispose d’outils de liposucion. Alchimie surréaliste mais fort efficace entre CH40 (alcool) et NaOH (soude caustique) : l’huile obtenue est équivalente à du pétrodiesel. Du gras à l’essence naturelle, l’homme transvase la mixture dans sa voiture qui se nourrit donc de l’automobiliste, de son propre conducteur…la boucle est bouclée. La voiture comme prolongement du chez-soi, comme seconde maison, (auto)neutralise toute pollution. La pièce Station restitue la possibilité de cette expérience et modélise les relations d’inter-dépendance. Elle concrétise et visualise cette démonstration par la phase indispensable d’avant-projet qu’est la maquette. De l’échelle 1/100 à l’échelle 1, Energie réciproque attend l’entrepreneur assez audacieux pour réunir une clinique de liposuccion à une station-service de biodiesel.
Scénario de série B ou de film d’anticipation à la Cronenberg ? Utopie ‘‘réalisable’’ ? Ironie féroce ?

A propos d’Énergie Réciproque – Entretien avec Michel de Broin du 6 août 2008 - 26 min
Réal. et mont. : Antonie Bergmeier, interview : Lucile Hamon (et Antonie Bergmeier).

L’éclaireur éclairé
L’éclaireur éclairé (2000) est le titre d’une sculpture de Michel de Broin, une statue qui représente un personnage brandissant un réverbère public, signe d’un possible acte de vandalisme. Ainsi on pourra reprendre à notre compte ce titre évocateur de retournement, et qui n’est pas sans rappeler la célèbre et mythique phrase de Marcel Duchamp : « Ce sont les regardeurs qui font les tableaux ».
Suite de notre parcours dans l’exposition de Michel de Broin au MAC/VAL, avec la sculpture Interpénétration profonde qui pousse les logiques du jeu et du sérieux à l’extrême. Deux cubes sont reliés par une membrane et se nourrissent à même un réfrigérateur agrippé à un poteau. À première vue, on trouvera dans cette installation hydraulique la production complexe…du vide. Le dispositif matérialise l’idée du retournement, une machine où l’un devient l’autre, où l’énergie se renverse d’un cube à l’autre, d’un poteau à un réfrigérateur. Production de l’altérité, d’une identité et annulation ou mise en commun des différences, dans un même mouvement.
Enfin tel un panneau de circulation dans l’exposition, Sans titre, une insigne publicitaire lumineuse mais vidée de son contenu, de ses systèmes électriques, semble elle aussi avoir subi un procédé de succion. Une pellicule de plastique thermoformée, de couleur chair, recouvre la forme évidée d’où pend un fil électrique et met en relief les éléments du fond qui deviennent surface. Écho formel, en négatif, de la structure arrière du réfrigérateur, deux objets vidés de leur valeur d’usage, Sans titre semble s’instituer en monochrome, en attente de néon.
Tout au long de ce parcours et des résonances des œuvres entre elles, le visiteur, le regardeur, aura donc perçu ces déplacements productifs de fonctions et d’usages, entre ordre, désordre et ‘‘retour à l’ordre’’. L’ironie certaine de l’artiste fait mouche dans ses liens à l’actualité.

Extrait biographique

Né à Montréal en 1970, Michel De Broin expose depuis 1993 sculptures, installations et vidéos, toujours guidé par un principe : "introduire un élément hétérogène à l’intérieur d’un système normatif pour voir comment cet agent produit dans son nouveau contexte des réactions inédites, initiant des intensités et favorisant des rencontres".
Il s’agit ainsi de transformer le réel, de jouer avec lui pour produire des évènements, des fictions, des pensées capables de nous inciter à penser et à voir autrement.