Stephen Dean

Vidéo DVD, 8 mm.

Notice

Stephen Dean travaille sur la vibration et la séduction de la couleur. Il utilise différents supports (peinture, sculpture, photographie, vidéo) pour réaliser des compositions abstraites colorées.

Avec Volta, il filme le stade brésilien de Maracana à Rio pendant plusieurs matchs de football et monte des séquences où la passion des spectateurs est portée à son paroxysme. Le sujet n’est pas le match, mais l’effet qu’il produit : la foule frénétique sur les tribunes est transportée par le spectacle des joueurs – ici invisibles – et devient à la fois un phénomène spectaculaire et un prétexte pour étudier la couleur dans ses manifestations les plus vibrantes.

Les drapeaux circulent, recouvrent, puis dévoilent la foule en mouvement : verticalité des bras qui se lèvent, horizontalité des applaudissements, diagonale des ballons ou des foulards agités. L’écran est ponctué de taches de couleur mêlant couleurs de peau, tee-shirts, drapeaux, foulards ou ballons. Leurs formats varient selon les plans rapprochés ou plus éloignés : des relectures contemporaines du divisionnisme, du pointillisme semblent se succéder. Les fumigènes colorés estompent la netteté de la « touche picturale », rappelant le sfumato. Les figures ou leur recouvrement révèlent différentes formes d’abstraction : la trame de couleur rappelle le tissage de la toile, la grille, l’étendard est « quasi monochrome », les compositions à l’écran sont all over.

Une bande sonore hypnotique contribue à plonger le spectateur dans une ambiance de stade où la transe collective peut basculer à tout instant dans la violence et le drame. La vidéo de Stephen Dean n’est pas narrative : « Je cherche à me tenir au milieu d’un triangle qui toucherait au documentaire d’un côté, à la picturalité d’un autre, et la vidéo artistique, c’est-à-dire un cinéma que l’on regarde debout, et pas forcément du début à la fin. »

V. D.-L.

C’est pas beau de critiquer ?

Carte blanche au critique d’art qui nous offre un texte personnel, subjectif, amusé, distancié, poétique... critique sur l’œuvre de son choix dans la collection du MAC/VAL. C’est pas beau de critiquer ? Une collection de « commentaires » en partenariat avec l’AICA / Association Internationale des Critiques d’Art.

Stephen DEAN, Volta, 2003

Ce qu’il faut comprendre dans l’expression « le retour de la peinture  », c’est, principalement, « le retour de la peinture dans le tableau ». En fait, depuis Lascaux (je dis « Lascaux » par commodité), la peinture n’est jamais partie… Mais ce qu’on dit moins, la concernant, c’est qu’il s’agit d’une réalité fort volatile dont l’occurrence principale est, certes, le tableau mais qui, comme la grâce (!), se pose là où elle veut. Ce qui est peut-être nouveau, en revanche, c’est que des artistes, aujourd’hui, et qui ne sont pas forcément ce qu’on a coutume d’appeler des peintres, ont décidé d’aller la chercher partout où elle se trouvait, c’est-à-dire dans la réalité de la vie. L’affaire remonte aux collages cubistes et trouve sa plus belle expression, quarante ans plus tard, dans le… décollage auquel s’adonnent Jacques Villeglé et Raymond Hains. On les appelle tantôt « affichistes », tantôt « décollagistes », parfois « nouveaux réalistes ». Leurs amis de rapine se nomment François Dufrêne, Wolf Vostell, Mimmo Rotella et aussi, quoique sous d’autres formes, Gérard Deschamps. Pour eux, la peinture est moins dans les tubes que déjà là et déjà faite, dans les affiches revêtues des jolies couleurs de la vie moderne, celles du spectacle et de la publicité, celles aussi de la propagande et de la violence. C’est pour cette raison, entre autres, qu’on les lacère, qu’on arrache, dans un geste apparemment inverse à celui de la peinture qui consiste à poser. Ainsi les peintures de Hains et de Villeglé sont-elles cueillies dans l’espace public, prélevées dans une saisie qui n’est pas sans rappeler le prélèvement et le cadrage photographiques.

Stephen Dean, à sa manière, s’inscrit dans cette histoire. Mais, à la différence de ses illustres aînés qui, au bout du compte, revenaient au tableau (comme on rentre au bercail), Dean prélève dans la réalité grouillante de la vie une peinture qui emprunte, pour se montrer, les voies les plus diverses. Il a commencé à la façon des coucous qui pondent dans le nid des autres oiseaux. Par exemple, il s’est glissé dans la grille toute faite des mots croisés d’un journal en en colorant les cases. Il a aussi peint les boules de plusieurs bouliers qu’il a accumulés en assemblages : c’est alors le regardeur qui fait le tableau. Il a encore utilisé les petits rectangles colorés des nuanciers, la tranche chromatique des livres de poche et j’en passe. Dans Pulse, il avait filmé, dans le Nord de l’Inde, Holi, le festival des couleurs, rituels de fertilité en même temps que cérémonie en l’honneur de Krishna, le dieu bleu ; dix jours pendant lesquels, les barrières entre les castes tombent, et où le pigment (bleu en particulier) recouvre toutes les surfaces, celles des corps, des objets et des paysages. La vidéo, tout en conservant sa qualité documentaire, devenait ainsi une peinture vivante, parfois un monochrome en mouvement. C’est d’une autre cérémonie qu’il s’agit dans Volta, tournée dans le fameux stade brésilien de Maracaña. Du match (des matchs, devrait-on dire, puisqu’il a filmé à l’occasion de14 rencontres), de la pelouse et des joueurs, aucune trace, juste les tribunes et le public ; mais pour la peinture, c’est amplement suffisant. Il n’y a pas que les joueurs, en effet, qui défendent leurs couleurs, les supporters aussi, et… les peintres. Par de multiples modalités d’apparition de la couleur (celle des visages peints, des ballons de baudruche et des T Shirts agités, des fumigènes, des petits drapeaux et des immenses tifos), Stephen Dean, non seulement revisite une large part de l’histoire de la peinture, mais produit une occurrence picturale inédite, irréductible au tableau. Cependant, si la peinture, déjà là, n’attend que d’être prise par l’ ?il, fût-il mécanique, du peintre, elle ne se rappellent le cheminement du tableau dans les ateliers de jadis. Par exemple, les neuf minutes de Volta résultent d’une dizaine d’heures de rush, plusieurs caméras en différents endroits du stade et filmant simultanément, de près, de loin, en plans larges ou très rapprochés, saisissant ainsi les pixels que forme cette multitude bigarrée. Le stade, en effet, comme équivalent de la palette. Il en va également du son, entièrement capté dans l’enceinte sportive et soumis à un montage aussi rigoureux que complexe. Et l’idée même d’une peinture sonore, pour inédite qu’elle puisse paraître, n’en est pas moins séduisante et amplement justifiée par cette œuvre. C’est l’ensemble de ces opérations que je veux ici appeler le geste, un geste sans lequel il n’est pas d’art ; et s’agissant de l’œuvre de Stephen Dean, pour employer une expression qui m’est chère, la beauté de ce geste.

Jean-Marc Huitorel

Le Mac/Val possède quelques beaux spécimens d’affiches lacérées (Villeglé) et de palissades (Hains). Dans une veine comparable quoique plus tardive et davantage fondée sur l’accumulation, on citera aussi ce tableau de Pierre Buraglio constitué de paquets de cigarettes et dont Raymond Hains aurait pu dire qu’il s’agit d’un « Klein d’oeil aux Nouveaux Réalistes ».

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