Raymond Hains

Affiches lacérées sur tôle découpée, 140 x 205 cm.
© Adagp, Paris, 2009.
Photo © Claude Gaspari

C’est pas beau de critiquer ?

Carte blanche au critique d’art qui nous offre un texte personnel, subjectif, amusé, distancié, poétique… critique sur l’oeuvre de son choix dans la collection du MAC/VAL. C’est pas beau de critiquer ? Une collection de « commentaires » en partenariat avec l’AICA/Association internationale des Critiques d’Art.

Affiches lacérées sur tôle découpée
Raymond HAINS, Sans titre, 1977

Quelques notes sur R. Hains, Sans-titre, 1977
Raymond Hains, affiche déchirée. Un « genre » qu’il pratique dès les années 1950, et le fait connaître aux côtés de Jacques Villeglé, François Dufrêne, Mimmo Rotella. Exposent des affiches en lambeaux, prélevées dans la rue, tantôt en les maintenant sur leur support d’origine (comme c’est le cas ici), parfois en reportant la masse de papier sur un autre support pour la pérenniser. Présupposé que les affiches sont trouvées telles quelles, et que l’« œuvre » obtenue est le résultat des gestes de passants, d’une foule. Raymond Hains n’opère qu’un prélèvement, un déplacement. L’affiche déchirée entre le collage trouvé, le document ?
L’affiche comme emblème ambivalent de la ville moderne : un moyen de communication public (ou publicitaire) qui a déjà une longue histoire, mais qui donne l’impression d’un présent perpétuel, par son renouvellement constant. L’affiche doit toujours « être à la page », le déchirement montre a contrario les couches d’images, à la limite de leur destruction.

Portée critique : cf. exposition d’affiches déchirées de Hains & Villeglé en 1957, galerie Colette Allendy, Paris, « Loi du 29 juillet 1881 ou le Lyrisme à la sauvette ». Idée d’un expressionnisme de la rue / rapport à la loi, au droit, en l’occurrence celle sur la liberté de la presse, le droit d’afficher et les sanctions prévues contre quiconque vandalise les placards administratifs. 1961 : autre exposition des deux artistes, « la France déchirée » : exclusivement des affiches de campagne électorale, liées principalement à la guerre d’Algérie. Les deux artistes ne sont pas que des flâneurs, ils recueillent aussi les tensions de la ville.

Cf. l’idée du « lacéré anonyme » (texte de Villeglé publié en 1977) : l’acte de vandalisme comme rejet de l’autorité, y compris celle de l’artiste.

Hains anticonformiste, qui aime moquer le monde de l’art, ses conventions : après ses premières affiches déchirées, il expose une simple palissade de chantier, puis explique à qui voudrait y voir un geste théorique qu’il n’y a là qu’une « lapalissade », une vérité de La Palisse, qui est aussi le nom d’un bonbon, spécialité d’une ville de l’Allier…
Une dimension essentielle du travail de Hains : raconter des histoires, susciter des associations d’idées, des rapports de sens nouveaux à partir d’éléments simples, banals, communs.

La rue, lieu d’improvisation et de hasard, comme lieu privilégié d’apparition de gags visuels et d’invention de calembours, mais aussi de mémoire, de souvenirs. Dans cette « optique », les affiches déchirées permettent aux mots et aux images de changer de sens (comme les images « hypnagogiques » que Hains obtient grâce à des verres déformants). Jeu visuel sur la lisibilité des signes, des photographies, des slogans une fois mis en pièces, décollés et recollés. Ici, les motifs ont quasiment complètement disparu : ne restent que des taches de couleurs, quelques bribes de lettres, et le placard de métal rouillé. L’affiche ne devient pas pour autant un tableau abstrait : c’est un plan indéterminé où flottent des morceaux de papier restés collés au hasard. L’effet de cadrage, dû au support métallique, suffit à délimiter une aire de jeu pour l’oeil, l’esprit et l’imagination.

Humour / gravité : « Chaque fois que je vois des chantiers, je pense aux ruines de Saint-Malo en 1944 ».

Benjamin Thorel