Bertrand Lamarche

Vidéo, noir et blanc, son, édition de 5, 32 minutes. Acquis avec la participation du Fram Île-de-France. © Bertrand Lamarche.

Notice

Les œuvres de Bertrand Lamarche sont souvent des projets, des propositions qui pourraient être faites aux urbanistes à titre expérimental. Partant d’un lieu et de son usage, il imagine des recyclages, de nouvelles utilisations possibles, qui influent sur le paysage et les habitants. Ses modes d’emploi sont simples et utopiques, ancrés dans une vision poétique de la ville, où l’homme est évoqué en creux, par son absence.

En 1994, Bertrand Lamarche conçoit de planter sur un grand terrain vague un jardin de berces du Caucase. Variété rare de la famille des ombelles, la berce du Caucase a pour particularité sa taille, puisqu’elle peut atteindre trois mètres de haut. À part son échelle remarquable, la plante a les mêmes caractéristiques que toutes les autres ombellifères : elle possède des fleurs blanches se terminant en ombelles et dont le contact peut provoquer de fortes brûlures. Les variétés les plus familières en sont le persil et la carotte, la plus évocatrice la ciguë… D’où les précautions prévues par l’artiste telles que filet recouvrant les plantes, combinaisons pour les promeneurs.

Le passage au mode virtuel permet à Bertrand Lamarche une vision renouvelée de sa proposition. Cette promenade est un long travelling de trente-deux minutes au milieu des berces. La bande sonore accompagnant la déambulation semble générée par le mouvement faussement aléatoire de l’image. Un graphisme très poussé met en valeur la structure complexe de la plante par des jeux de transparences. Pourtant, souhaitant échapper à trop de réalisme, Lamarche choisit le noir et blanc et n’impulse aucun mouvement au feuillage.

On se prend à imaginer les dédales de cette étrange forêt, projetée à échelle humaine, constituée d’une seule espèce. Îlot dans la ville, elle pose la question du jardin d’agrément, du parc public et de l’usage qu’on peut en faire. Herbe des chemins, mauvaise herbe par excellence, la berce du Caucase porte en elle le danger, voire l’hostilité. Une expérience inédite s’offre au spectateur, qui est aussi l’usager « potentiel » de ce lieu.

Bertrand Lamarche a découvert la berce du Caucase il y a plus de dix ans dans un jardin botanique. Elle est devenue au fil du temps un repère, une forme de prédilection. La plante est mise en abîme, représentée, schématisée, comme elle l’avait aussi été par Emile Gallé à l’époque de l’Art nouveau et de l’Ecole de Nancy. Le projet de terrain ombelliférique jamais concrétisé laisse aujourd’hui place à une promenade imaginaire, poétique et épurée. Déréalisée par la radiographie, la plante n’en est que plus inquiétante et onirique.

G.B.