Agnès Varda,
La mer immense et la petite mer immense, 2003.
Installation photographique en deux parties : impression numérique couleur sur toile polyester et tirage argentique couleur avec cadre ancien, fond sonore de mer en boucle.
La mer immense : 280 X 500 cm sans marge, 340 X 600 cm avec marge ; La petite mer immense : 34 X 6 cm hors cadre
Collection MAC VAL - Musée d’art contemporain du Val-de-Marne.
Acquis avec la participation du FRAM Ile-de-France.
Photo © Marc Domage.

Présentation

« L’Effet Vertigo »
Exposition des œuvres de la collection
Du 24 octobre 2015 au 23 avril 2017

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Alexia Fabre
Introdu­ction à l’accrochage de la collection "L’effet Vertigo"

Cette exposition explore les relations des artistes à l’histoire et à ses récits comme notre propre rapport de spectateur à ce qui nous précède. Le regard, ce qui le charge et le constitue, est un élément essentiel de cette relation. C’est donc le sujet de l’interprète qui est ici au cœur des œuvres et qui interpelle dans un même mouvement celui qui regarde et qui fait exister toute œuvre d’art.

L’invention du regard

C’est en effet cette relation à l’histoire propre à chaque artiste qui guide ce nouvel accrochage intitulé « L’Effet Vertigo », double mouvement inversé, qui suppose rapprochement et éloignement concomitants. Ce procédé filmique fut inventé par Alfred Hitchcock dans Vertigo (Sueurs froides en français) en 1958, afin d’évoquer le vertige que ressent Scottie (James Stewart) dans le fameux escalier de la tour. Il a pour objet de produire un effet : dramatiser le sujet en le maintenant, par oscillation simultanée d’avant en arrière, dans un même cadre et de ne pas le perdre de vue. On y verra une métaphore de la lecture de l’histoire au présent et des stratagèmes et diverses attitudes à son égard, de l’éloignement essentiel à sa mise au point visuelle, au déplacement et dépaysement parfois nécessaires pour mieux approcher le sujet. L’interprète est celui qui donne et crée du sens, à partir des récits et des œuvres : c’est celui qui ajoute, valorise, interroge, fait chanter l’histoire, les notes, les mots, les objets, le temps. Aujourd’hui le musée invite le public à interroger ce qui constitue sa relation à l’œuvre et à l’histoire, ce qui nourrit et oriente son regard, cette part de création, cet espace de la pensée qui appartiennent à chacun.

À cette fin, le parcours de la collection est déployé comme un récit où les œuvres portent et sondent les sujets du regard, du modèle, de l’interprétation, de la relecture, de la revisitation. Les artistes ici réunis relisent, refont, rejouent ou réinterprètent les faits historiques, les usages des matériaux, les motifs et sujets ; ils les ramènent ainsi à la lumière d’un présent qui (les) métamorphose, soit à travers le filtre de leur expérience intime, soit en prélevant des morceaux de ce réel passé, objets, archives, récits pour les projeter dans un univers autre, une situation différente, vers un sens nouveau. L’accrochage fait dialoguer les œuvres qui racontent l’histoire des conflits récents, celle des explorations et des sciences, l’histoire coloniale et de la décolonisation dont tant d’artistes sont aujourd’hui issus, les traditions et les rites, l’histoire des objets, une part de notre histoire culturelle. Il s’agit ici d’envisager, au fil des œuvres, différentes façons de résister à l’autorité des faits et de mettre en doute l’autorité, celle des récits et des mythes par le biais de postures héroïques ou au contraire avec l’insolence de la modestie et de l’expérience intime, l’échelle 1 / 1.

Histoire chaude

Le présent s’engendre donc entre passé et futur, mais un présent en équilibre instable entre l’autorité, les doutes et les certitudes intrinsèques à l’histoire et ce qu’il faut conserver et cultiver d’espoir et de fraîcheur pour inventer le futur. Peut-être faut-il voir dans ce choix d’élection des œuvres une forme de questionnement auquel le musée fait face aujourd’hui, lié aux dangers et aux difficultés que nous vivons tous : la violence et la cruauté d’un monde en pleine ébullition, les ravages d’une barbarie contre laquelle la culture, qui en serait le rempart, semble impuissante et même devenue un objet en danger. D’un point de vue moins dramatique, l’actualité des réformes institutionnelles rend l’avenir incertain. Certes, ces évocations « datent » cette introduction, mais ici plus que jamais, l’histoire devra être questionnée à partir de l’endroit où se situe l’artiste, du temps dans lequel il vit et agit, de l’histoire passée et donc d’une « histoire chaude » selon le concept créé par Claude Lévi-Strauss : une histoire qui se réfléchit et s’évalue dans une visée de progrès. Fénelon attendait du « bon » historien qu’il ne fut « d’aucun temps ni d’aucun pays ». Illusion, pour ne pas dire principe battu en brèche par la réalité, et probablement par la part inévitablement subjective de celui qui considère, étudie, par son in situ, son in vivo…

La part de l’interprète – un air de vérité

C’est dans cette relecture que se joue la part manquante : l’absence et le silence, le vide qui permettent à celui qui lit, à celle qui regarde, à l’interprète de créer sa part de la partition. L’histoire est ainsi envisagée telle la création d’un compositeur livrée au musicien. L’histoire et les histoires personnelles sont ici entremêlées puisqu’il ne peut en être autrement. Réparation, relecture, réemploi, remise en jeu, autant d’actions itératives qui permettent de revenir sur la dissonance des temps et de les conjuguer enfin. Les œuvres présentées ici nous placent dans une situation de vertige, celui d’un présent troublé par la réinvention du passé, mais nous entraînent également à résister à la fabrication actuelle des savoirs, à l’heure d’une création et d’une circulation anarchiques des données pour interpréter le présent. Chacun peut être à la fois fabricant de contenu, diffuseur, récipiendaire, en un seul et même temps : le présent de l’information, celui de la fabrication de l’histoire. Ce jeu avec les traces du passé, les doutes sur sa valeur, la nécessaire réintégration, la restauration de ce « tout » fragmenté est l’occasion d’établir des ponts avec ce que nous vivons actuellement, d’éclairer une actualité inquiétante et merveilleuse à la fois, de prendre la mesure des enjeux de notre inscription et de notre participation au présent. Une tentative de conjurer et déjouer les présages du passé, en échappant à une répétition à l’identique, en boucle, de l’histoire.

L’exposition « L’Effet Vertigo » réalisée pour les dix ans du musée est dédiée à Jacques Ripault, son architecte, disparu cette année.