2006
Installation audiovisuelle : vidéos, son, sable,
plantes vertes,
musique (Steve Reich, Winds and Brass [with Strings]),
2 plantes vertes, dimensions variables.
Collection MAC/VAL,
musée d’art contemporain
du Val-de-Marne.
Acquis avec la participation
du FRAM Île-de-France.
Photo © DR.
Notice
Photographe, réalisatrice et productrice, Agnès Varda est l’une des grandes figures du cinéma indépendant en France. Après des études à l’École du Louvre et un CAP de photographie, elle devient la photographe du TNP de Jean Vilar et du festival d’Avignon. Cinéaste précoce, elle débute avec La Pointe courte en 1954, annonçant par ses audaces formelles la Nouvelle Vague. Très libre dans son approche et dans ses constructions narratives, elle ne fait pas de distinction entre fiction et documentaire : chez elle, le réel est toujours à la fois une source de métaphores et de récits. Elle fut aussi la compagne du réalisateur Jacques Demy, encore très présent dans son travail.
Dans les années 2000, Agnès Varda entame une nouvelle carrière en tant qu’artiste plasticienne. En 2003, elle crée Patatutopia, sa première installation, à l’invitation de la Biennale de Venise. En 2006, la Fondation Cartier organise une grande exposition monographique : « L’ÎLE et ELLE ». La Mer immense et la Petite Mer immense est une installation photographique.
Photographe avant tout, Agnès Varda capture un « instant » : « Je passais sur la plage et j’ai vu cette lueur qui tombait droit du ciel sur une petite partie lointaine de l’océan […]. J’ai déclenché une prise de vue, une seule. » À partir de cet instant, l’artiste crée un dispositif d’exposition qui interroge le statut de l’image et l’histoire picturale et photographique du motif. Comment ne pas penser aux marines de Gustave Le Gray (1856-1858), où la mer apparaît comme une immensité vide, grise et dorée, surface réfléchissante sous des ciels chargés ? Tout s’opposait alors à la photographie naissante : l’étendue de l’eau, l’importance des reflets, le mouvement perpétuel. Il fallait donc « construire » son image, en supprimant les éléments relatifs à l’échelle afin de donner le sentiment de grandeur. Pour rendre à la fois le ciel et la mer, Le Gray plaça deux négatifs sur une même épreuve, un ciel de campagne pouvant accompagner la mer. Ainsi, l’une des premières représentations « réelles » de la mer est une image composée qui cherche à imiter une partie des effets de la peinture. On peut penser que la mémoire de la photographe et celle de l’ancienne étudiante de l’École du Louvre sont mobilisées au moment de la prise de vue.
Agnès Varda orchestre une véritable « scénographie » : l’image est présentée trois fois, sur des supports différents, et s’accompagne d’une bande-son qui fait entendre en boucle le bruit marin. Elle joue à faire co-exister différents systèmes de vision : celui du cinéma et de la profondeur de champ, celui de l’affiche et d’une vision éloignée, celui de l’ordinateur et de ses fenêtres superposées. Toutes modalités qui s’opposent au format tableau et à sa capacité à focaliser le regard. Le Tombeau de Zgougou mêle deux registres : le sentimental et le symbolique. La chatte Zgougou passe une vingtaine d’années dans la tribu Varda-Demy. Elle traverse les films, en mascotte de la maison-bureau de production de la rue Daguerre, en figurante, en « actrice ». Offerte à Jacques Demy par sa monteuse Sabine Mamou, elle leur survit à tous deux. Sa mort ravive le deuil de ceux qui l’ont connue et qui ne sont plus là. Le « tombeau » est traditionnellement une composition musicale ou poétique qui rend hommage à un artiste admiré (Charles Baudelaire écrivit un « tombeau d’Edgar Poe »).
En en créant un pour un animal de compagnie, Agnès Varda associe les contraires : l’installation tient à la fois du funéraire et du jeu d’enfant. Elle est triste et magnifique, sentimentale et tragique, dérisoire et magique. Agnès Varda recrée un petit monticule de terre, semblable à la tombe improvisée par son fils dans le jardin de la maison familiale de Noirmoutier. Il y a d’abord la projection d’extraits de films qui montrent Zgougou en action. L’installation révèle l’ambiguïté des actes familiaux. On croirait assister à une projection de films de famille, mais, déplacée dans l’espace d’exposition, c’est la proximité avec un rituel chamanique qui apparaît.
Sur une figure de tombe, on fait venir l’esprit du chat : le voici qui bouge et saute. Il devient une incarnation symbolique de la famille Varda-Demy, un animal totémique. Si le cinéma, comme dit Jean-Luc Godard, fabrique de la mémoire, la chatte Zgougou est dépositaire de la mémoire familiale.
Ensuite, la projection se fait lanterne magique, théâtre d’ombres colorées : l’animal disparaît, des coquillages recouvrent progressivement le simulacre de tombeau. À l’arrière-plan, les branches se chargent de roses en papier crépon. C’est un jeu de plage qui devient une célébration. Le mouvement final décrit une élévation visuelle et symbolique, soulignée par la diffusion de Winds and Brass (with Strings) du compositeur Steve Reich.
En utilisant les moyens du cinéma, la grue et l’hélicoptère, Agnès Varda inscrit le tombeau dans l’île puis dans l’océan. La chatte minuscule devient la métaphore de notre propre petitesse dans l’univers. L’histoire intime finit en vanité contemporaine.
Ar. B.
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