De l’œuvre à l’artiste
Mohamed Camara
Né à Bamako (Mali) en 1983. Vit et travaille à Paris et Bamako
Dribble et défi
La biographie de Mohamed Camara est souvent racontée comme un conte, une forme de récit qui autorise les fulgurances et les rapides enchaînements. De cet appareil numérique que le jeune footballeur de dix-huit ans reçoit comme un défi par le coordinateur d’un atelier de photographie à Bamako, à une exposition à la Tate Britain (Londres) en 2004, puis à ICP à New York en 2006…il n’y a qu’un pas, de cinq années.
Le jeune homme pensait pouvoir prendre une photographie comme n’importe quel photographe qu’il découvrait dans des albums, mais il conçoit vite que cela n’est pas si simple...Comment utiliser cet appareil quand les gens dans la rue refusent d’être photographiés ? Et comment, aussi, éviter le vol ? Accompagné à ces débuts par Antonin Potoski, le coordinateur de l’atelier, Mohamed Camara va faire de cette contrainte et de cette crainte le moteur de ses premières photographies.
La lumière, matière vivante
Il s’intéresse ainsi très rapidement à la lumière, une « matière vivante » selon lui, qui s’infiltre dans les intérieurs des maisons de Bamako, de sa famille et de ses proches. Le seuil de la porte animé par les rideaux, les cadres des fenêtres qui cloisonnent la chaleur et la lumière, l’intimité des chambres deviennent l’objet de son attention et de ses premières mises en scènes mais également d’un film, Les rideaux de Mohamed (2003). Les photographies des Chambres maliennes (2000-2001) franchissent ainsi le cadre de Bamako vers Paris Photo 2002 et la galerie de Pierre Brullé (Paris).
Sa passion du football est toujours présente dans cette série : « Même en dormant je ne lâche pas mon maillot », titre une photographie, tandis qu’un maillot fait office de rideau et occulte le soleil, dans une autre (« Mon soleil à moi c’est le foot »).
La série photographique comme une bande dessinée
Chaque photographie légendée par une phrase est ainsi une invitation à la narration : « Bienvenu chez Oncle Yoro », « Un rideau bien fermé souvent ça rappelle une histoire d’amour ». Ces phrases en français sont produites après avoir réalisé la photographie. Elles interviennent comme des traductions, des explications de ce qu’il a d’abord élaboré dans sa langue, le Bambara. Dans un entretien à la revue Africultures il raconte également comment ces phrases résument des scènes communes du quotidien à Bamako et comment elles conduisent ses photographies à fonctionner comme une bande dessinée : « chaque nouvelle série est comme un nouveau tome ».
Après les Chambres maliennes, l’artiste se met en scène dans la série Certains matins (2004-2006), mais en échappant à des conventions de l’autoportrait puisque son visage est caché par une vitre (« Mohamed prend l’air à la fenêtre »), sa tête enfoncée entre ses épaules (« Certains matins je n’ai pas le courage de commencer la journée »), ou bien son corps fait dos à l’objectif mais face à un cœur rouge fluorescent, vers lequel sa main gauche se dirige (« Certains matins, je prie mon Dieu »). La série des Sans-Têtes (2005), faces et visages éblouis par la lumière, le flash, radicalise cette prise de parti par le cadrage. La série Cactus de Sibérie (2008) poursuit le récit, enclenche un autre tome dans un déplacement géographique lui aussi radical. Le spectateur y découvrira notamment Mohamed Camara torse nu, face aux sapins et aux montagnes enneigées, rencontre que la légende nomme ainsi : « Certains matins, je suis le cactus de Sibérie. »
L’eau prise au mot
C’est un titre minimal, L’eau, qui cette fois accompagne les deux tirages de la commande du « Festival de l’Oh ! ». La première estampe est utilisée pour l’affiche de cet événement autour de l’eau et de ses richesses. Ainsi, pour cette création conjointe avec le MAC/VAL dans le cadre de sa résidence en 2009, Mohamed Camara semble saisir l’occasion d’un nouveau tournant dans son parcours. L’eau est un écho à la photographie « Certains matins pas comme les autres » (de la série Certains matins) où l’on devine un homme dans l’ombre face à une suite ordonnée sur plusieurs rangs de formes étranges, lumineuses qui se révèlent être de petits sacs en plastique gonflés et gorgés d’eau. Une suite précieuse, éclatante que Mohamed Camara reprend ici en les regroupant dans un collier, au cou d’une jeune femme enceinte, dont l’expression pourrait évoquer l’onomatopée « Oh ! ». Dans le second tirage, on y distingue ces mêmes sacs d’eau, en forme, pourrait-on dire, de ballons de baudruches, accrochés à des rambardes. L’eau prise au mot, sans légende cette fois, mais associée à nombre de symboles ou mythes que le spectateur voudra bien découvrir et associer.