Pierre Buraglio

1977
Fenêtre tronquée,
verres mécaniques,
118 x 47 x 4 cm
Collection MAC/VAL,
musée d’art contemporain
du Val-de-Marne
Photo © Claude Gaspari.

Notice

Très longtemps, très tôt aussi, Pierre Buraglio a été un peintre sans pinceau, sans toile. De 1968 à 1974, il a choisi d’être un peintre sans peinture, abandonnant le « métier » pour rejoindre ses camarades ouvriers à l’usine. Longtemps, il a préféré les outils de l’artisan à ceux de l’artiste, interrogeant, à l’instar de certains de ses contemporains de Supports-Surfaces ou de BMPT, l’acte même de peindre, ses matériaux et sa réalité. Pourtant, à la relire, quelle vie de peintre, résolument, fondamentalement, fidèlement.

Pierre Buraglio est né dans le Val-de-Marne, il est fils d’architecte, petit-fils et neveu de maçons italiens installés à Maisons- Alfort. Il vit de nouveau dans la maison familiale, dont il peint et dessine les murs de pierre meulière construits par ses ascendants, qui ont aussi édifié le fameux Rocher du zoo de Vincennes. Dans sa longue amitié avec Raoul-Jean Moulin, Pierre Buraglio accompagne le projet du musée depuis son « invention » jusqu’à maintenant. Aujourd’hui, il dit qu’il souhaitait « à l’époque » un musée qui fasse le lien entre l’histoire et l’art contemporain, qu’il y soit question de résistance, de politique.

N’est-ce pas finalement le cas ? Ne s’agit-il pas de résistance dans l’engagement et l’expression d’artistes, dans leur vision de la société, l’illumination critique de celle-ci, la mise en doute et en cause du réel et de l’état du monde ? N’est-ce pas ce que Pierre Buraglio lui-même poursuit lorsqu’il refuse les pratiques traditionnelles du peintre, outils et gestes, pour plutôt ramasser, coller et faire œuvre de centaines de paquets de Gauloises bleues (Gauloises, 1978) ? N’est-il pas question, dans ces objets simples devenus motif artistique, de ceux qui les ont fumés, qui les ont tenus, souvenir de leur condition ? Fenêtre (1977), objet récupéré sur un chantier puis consacré peinture, situe le paysage imaginaire dans son cadre, le découpe dans sa croisée, le colore de la teinte du verre choisi par l’artiste ; elle raconte aussi le quotidien des petites gens et de leur environnement.

Les blockhaus des côtes de l’Atlantique que l’artiste peint aujourd’hui amènent dans le champ du présent de la peinture ces traces inoubliables de l’occupation allemande pendant la Seconde Guerre mondiale. Mais pas de leçon à tirer dans l’œuvre de Pierre Buraglio, seulement cette histoire de « pain perdu » inventée par Alfred Pacquement – les matériaux récupérés fabriquant dans leur mélange une œuvre nouvelle –, mais aussi l’histoire et le paysage « liés », et des sujets ravivés par la mémoire, pour questionnement.

Buraglio a été l’un des premiers artistes à composer le Fonds départemental d’art contemporain et à croire dans le musée. Depuis, nous continuons à suivre son actualité car son œuvre, tout en se transformant, poursuit son interrogation des rôles possibles de la peinture et de sa réalité. Après avoir dépassé la remise en cause de la matérialité de la peinture, Pierre Buraglio en questionne la maîtrise et la virtuosité, l’histoire, le souvenir des maîtres. Dans sa constante humilité, avec le pragmatisme de l’artisan, il montre aujourd’hui le travail, sans artifice ; il laisse les efforts, voire les erreurs faire œuvre, genèse de l’homme à la tâche.

Nous avons donc pensé à un parcours au sein de cette collection que Buraglio connaît et qu’il a soutenue pour raconter, en pointillés, l’histoire de sa peinture. Au cœur d’un accrochage dédié à la mémoire, son oeuvre qui fait place à la trace, au manque, qui rend l’absence si présente, trouve son chemin. Car il s’agit bien de traces et de mémoire chez Pierre Buraglio. Toute forme y est découpe, creux, rebus assemblés. Prélever et prendre ont été ses premiers gestes de peintre : prendre des châssis de fenêtres, des bandes de masquage dans l’atelier de carrosserie, les recoller, marqués par la peinture de voiture ; prélever une portière de 2 CV et remplacer la fenêtre par un vitrail noir presque opaque, le voyage imaginaire commence ; conserver son agenda rayé des jours écoulés, des projets et rendez-vous passés.

La peinture aujourd’hui revient – le châssis, la toile, les outils traditionnels –, mais elle est toujours découpe et assemblage, manques et creux, telle la série des « Rochers de Vincennes », répertoire à elle seule de tous les possibles de la pratique de Pierre Buraglio. Le passé est chaque fois présent, indélébile, conservé. Si le motif est revenu, dans le fond, n’a-t-il pas toujours été présent, l’objet valant pour tel ? Les motifs sont désormais représentés : les rochers, les pierres meulières, les blockhaus, la mer… sans oublier l’histoire de l’art, source inépuisable et implacable de confrontation et d’apprentissage.

Pierre Buraglio s’affronte aujourd’hui à la peinture des grands et petits maîtres, comme il s’est longtemps cogné à la réalité, avec une sincérité qui bannit les artifices et révèle l’homme dans ses désirs et ses faiblesses.

A.F.

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