Philippe Cognée

1998
Fusain et graphite agglomérés à l’acrylique sur papier vélin 80 x 120,5 cm.
Collection MAC/VAL
musée d’art contemporain
du Val-de-Marne.
Photo © Jacques Faujour.

Notice

Au début des années 1990, Philippe Cognée, artiste au goût déjà marqué pour la matérialité, élabore une technique picturale singulière, par composition photographique et rendu à la cire, qui signe aujourd’hui un style personnel. Sa technique est exigeante. « Cela fonctionne mieux avec des images très structurées, bien rythmées, lorsqu’il y a des lignes, comme dans les autoroutes, les perspectives d’immeubles ou les rayons de supermarchés par exemple. »

Les containers et cabanes de chantier, que l’artiste introduit dans son répertoire en 1995, satisfont cette exigence. Ils occupent également les dessins de la période, comme ce Container de la série « Proliférations ». Techniquement, l’écrasement du dessin répond à la fonte forcée de la peinture. Recouverte d’un film plastique, la composition au crayon graphite et fusain, sur un fond épais d’acrylique blanche encore humide, est pressée sous un rouleau que l’artiste passe à sa surface. Les morceaux de fusain éclatent. Le trait se fragmente. Aux effets de matière de la peinture, le dessin répond par la rugosité d’une surface crayeuse. On devine aisément la composition photographique initiale : un container, cadré au plus près, isolé dans un paysage privé d’horizon. Ce sujet banal, apparemment neutre, d’une frontalité que ne renieraient pas Bernd et Hilla Becher, bouche l’espace.

Si la sphère industrielle est effectivement convoquée, son traitement met cependant en péril toute neutralité. Par l’emploi du fusain, le container paraît calciné dès son report sur le papier. La désagrégation du trait, dans un flou brumeux et sombre, assouplit les lignes de construction de l’objet figuré. Est-ce là un container ou le vestige d’un temple antique ? Confusion chronologique d’un temps qui n’est pas arrêté. Le monument vibre, s’ébroue, son inquiétant contenu vrombit sourdement et c’est toute la composition qui se meut au rythme du détachement des grains de fusain. La méthode de Cognée relève d’un équilibre entre destruction et construction ; le brouillage de l’image en convoquant immédiatement une autre. Absorbé par le fond d’acrylique, le sujet se renouvelle simultanément à sa surface. Il est souvenir, un souvenir façonné par l’érosion de l’oubli comme le rivage l’est par la mer3. Ainsi, plus qu’un container flou, plus qu’un souvenir de container, Philippe Cognée rejoue, voire représente le processus même de la mémoire.

I.J.